De nouvelles pistes sur l’origine de la famille sino-tibétaine

Sciences du langage

Une équipe interdisciplinaire de chercheurs du Centre de recherches linguistiques sur l'Asie orientale (CRLAO, UMR8563, CNRS / EHESS / Inalco), du Centre de recherche en mathématiques de la décision (CEREMADE, UMR7534, CNRS / Université Paris-Dauphine) et de l'Institut Max-Planck pour les Sciences de l'Histoire Humaine (Iéna, Allemagne) rapporte des preuves rattachant l'origine des langues sino-tibétaines à des groupes de cultivateurs de millet au nord de la Chine, il y a environ 7200 ans. Les résultats de cette étude ont fait l’objet d’un article dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences.

Bien que la famille sino-tibétaine soit l'une des plus importantes au monde, avec environ 1,4 milliard de locuteurs et plus de 400 langues différentes (dont le chinois, le birman et le tibétain), l'origine de ce groupe linguistique reste incertaine. Johann-Mattis List, Laurent Sagart, Guillaume Jacques1 et leurs collègues ont constitué une base de données lexicale contenant 180 mots du vocabulaire de base de cinquante langues sino-tibétaines. Ils y ont identifié 1144 ensembles de mots apparentés, communs à plus d'une langue, mettant en ligne les données et les jugements de parenté entre mots. Au moyen d'une analyse statistique bayésienne, ils ont inféré des arbres représentant les origines et l'évolution de ces langues dans le temps ; ils ont également estimé l'âge de l'origine de cette famille en se fondant sur les dates de nœuds intermédiaires attestés. Les arbres ont révélé sept sous-groupes principaux.

Afin de mieux comprendre les raisons et circonstances de l'expansion sino-tibétaine, les auteurs se sont penchés sur les termes désignant les principales espèces de plantes et animaux domestiqués connus des locuteurs des langues sino-tibétaines. Ils ont observé que les espèces domestiquées dont l'attestation archéologique est la plus ancienne se concentrent dans la région des cultures de Cishan et Yangshao. Par ailleurs, les noms de ces espèces anciennes sont communs au chinois et à d'autres langues sino-tibétaines, tandis que les noms d’espèces domestiquées plus récentes — ou attestées en dehors de la zone Yangshao-Cishan, comme le nom du riz — ne sont pas communs au chinois et à d'autres langues sino-tibétaines.

Selon les auteurs, le scénario le plus probable est donc celui d'une expansion démographique et linguistique liée à la possession de plusieurs espèces domestiquées (millets, porcs, moutons, bovins), avec une séparation initiale entre un groupe oriental, ancestral au chinois, et un groupe occidental, ancestral aux autres langues.

  • 1Johann-Mattis List est chercheur à l'Institut Max-Planck pour les Sciences de l'Histoire Humaine. Laurent Sagart et Guillaume Jacques sont tous deux chercheurs CNRS au Centre de recherches linguistiques sur l'Asie orientale.
Berceau présumé de la famille, montrant les cultures néolithiques et les espèces domestiquées, et routes d'expansion des langues sino-tibétaines
Berceau présumé de la famille, montrant les cultures néolithiques et les espèces domestiquées, et routes d'expansion des langues sino-tibétaines © Sagart, Jacques, Lai, Ryder, Thouzeau, Greenhill, List

Références

Sagart L., Jacques G., Lai Y., Ryder R. J., Thouzeau V., Greenhill S. J. and List J-M. 2019, Dated language phylogenies shed light on the ancestry of Sino-Tibetan, PNAS

Contact

Laurent Sagart
Chercheur CNRS au Centre de recherches linguistiques sur l'Asie orientale
Guillaume Jacques
Chercheur CNRS au Centre de recherches linguistiques sur l'Asie orientale