Tic & société

Les religions au temps du numérique, Vol. 9, N° 1-2  -  2015

Coordonné par David Douyère

La revue Tic & société est consacrée à l’analyse des rapports entre les technologies de l’information et de la communication (TIC) et la société. Elle sollicite les textes dans lesquels l’analyse accordera une place centrale au social. Elle développe aussi un espace multidisciplinaire. C’est pourquoi elle s'intéresse non seulement aux approches sociologiques mais également aux approches socio-économiques, sociopolitiques, sociocognitives, etc. Les contributions peuvent être soit à dominante théorique, soit avoir un contenu principalement descriptif tout en comprenant dans ce deuxième cas une dimension analytique liée à un cadre théorique.

Les religions ont toujours utilisé les moyens d’information et de communication qui étaient à leur disposition au fil des siècles. Ceux-ci ont contribué à construire un espace de signification socialement partagé et à accroître leur emprise par le texte, le rite, le discours et l’image.
Les technologies numériques d’information et de la communication (TNIC) se trouvent aujourd’hui appropriées par différents courants et mouvements religieux. Elles sont l’objet d’investissements économiques, de planification et de stratégie, portent paroles et images, restituent le culte ou en proposent de nouvelles formes. Une religion n’existerait pas sans les moyens de communication qui la font apparaître, qui lui permettent de relire les pratiques et les textes, de relier en apparence, dans l’ordre du symbole, dit-on, les personnes en « communautés » culturelles, historiques et politiques.
Ce dossier de Tic & société consacré aux « religions au temps du numérique » tente de proposer un cadrage de cette question dans l’espace francophone. Les travaux rassemblés analysent la mobilisation des TNIC par les religions, au carrefour d’enjeux économiques, sociaux, politiques, idéologiques, culturels, artistiques et théologiques. De telles recherches peuvent permettre de comprendre à la fois les mutations techno-matérielles des religions, dans leur communication propre, leurs devenirs peut-être, et de saisir d’autres usages et investissements des TNIC que ceux qui sont le plus habituellement travaillés et qui constituent également un aspect des pratiques sociales et culturelles.

Le coordinateur de ce dossier, David Douyère, propose, en ouverture, un état de l’art de la recherche sur le religieux et le numérique et un bref inventaire de ses objets. 
Avec son étude sur les cérémonies de mariage dans World of Warcraft, Olivier Servais nous emmène dans un monde numérique ludique où la religion semble réduite à sa forme la plus simple, celle de rituel assurant la cohésion d’un groupe social. A partir de 100 vidéos de cérémonies de mariages cyber, l’anthropologue analyse ce qui reste de religieux dans cette performance collective, entre référence culturelle et transfert rituel. Dans cette forme de religion analogique, le mariage vient entériner l’appartenance au groupe, qu’il renforce, et possède dès lors une dimension socio-politique.

Lucie Le Guen-Formenti propose une analyse de vidéos de quatre « Youtubeurs » anglophones consacrées à la religion musulmane, en montrant comment s’articulent l’énonciation de soi, les conseils de vie musulmane dans un contexte occidental moderne et la pudeur, perçue comme une valeur. Elle fait apparaître un mode de valorisation de soi, entre producteurs (Youtubeurs) et récepteurs (viewers), qui va faire de la pudeur en élément central de la justification éthique et morale de l’individu, tout en accompagnant un lien communautaire.

En 2008, une vidéo est diffusée montrant Sarah Palin, candidate à la vice-présidence des États-Unis, en train de recevoir « une protection contre la sorcellerie » lors d’une célébration religieuse. La séquence est reprise dans le monde entier, des médias généralistes au site internet de l’Église où elle a été tournée. Philippe Gonzalez enquête sur la circulation de ce film et met au jour comment il a été compris et interprété dans ces différents contextes, apparaissant en 2008 comme une illustration de la « bigoterie » de Palin et figurant en 2011 une menace « théocratique » pour la démocratie américaine.

Alexandra Tudor s’interroge sur le phénomène de conjonction médiatique relayé par le numérique et les TNIC à travers une campagne d’évangélisation adventiste en Roumanie, l’ « Horizon de l’espérance », créé par la chaîne de télévision néo-protestante Hope Channel Romania (Speranta TV). Intégrée à un réseau médiatique international, cette Église néo-protestante roumaine mobilise à la fois une émission de télévision, un compte Facebook, une radio, des journaux imprimés, qui se croisent pour réaliser un véritable produit d’évangélisation multimédia.

L’article de Gustavo Gomez-Mejia s’intéresse aux formes et aux modes de circulation des Powerpointscomme supports numériques de signes religieux dans l’espace latino-américain. À partir d’un corpus de diaporamas distribués par courrier électronique, il analyse ce phénomène de « chaînes religieuses » à caractère magique. Réactualisation de formes anciennes de correspondance, dispositifs numérisés nourris d’iconographie relevant de la piété populaire, ces diaporamas inscrivent une relation de communication à la fois sociale et transcendante et reflètent les paysages de croyances de l’Amérique latine contemporaine. 

Gildas Mouthé nous livre les résultats d’une enquête menée en 2013 et 2014 sur les usages d’internet dans l’Église catholique camerounaise. Prière quotidienne en ligne, individualisme religieux sont autant de nouvelles pratiques observées dans le cyberespace catholique camerounais. Elles illustrent la façon dont l’Internet tend à reconfigurer le rapport à la foi, à l’Église et à la communauté. L’article permet de mieux comprendre l’appropriation progressive par l’Église catholique des dispositifs numériques et la variété des usages qui peut en être fait.

Existe-t-il un espace socialement partagé entre les pèlerins physiques et les utilisateurs du dispositif de TNIC mis à disposition par le sanctuaire marial de Lourdes ? Lourdes possède-t-elle un sens commun pour les pèlerins physiques et les internautes connectés ? Il semblerait que oui. L’étude de Sylvaine Guinle-Lorinet et Paul Bernadou montre comment un sanctuaire traditionnel, lieu de pèlerinage, et de guérisons supposées, se renouvelle et se prolonge, sinon s’enrichit, de la mobilisation des TNIC, comme il a su précédemment mobiliser l’édition iconographique, la presse, la radiodiffusion ou bien encore la télévision. 

Josselin Tricou dessine une cartographie de la « cathosphère », blogosphère catholique française, d’où émerge de nouvelles « autorités » religieuses hors des voies classiques de légitimation. A partir d’une analyse de la structure relationnelle, en termes de cohésion et de cohérence sociales, il observe que cette montée en puissance n’est le fruit ni du seul charisme individuel de chaque blogueur-se, ni l’effet du seul processus de reconnaissance médiatico-ecclésiale. C’est celle d’un champ nouveau, où alliances et citations réciproques participent de la validation des prétentions individuelles et collectives à l’incarnation légitime du catholicisme sur internet.

Charlotte Blanc présente une recherche exploratoire sur les sites traditionnalistes catholiques français, des « pro-vie » aux  anti-« Mariage pour tous ». Elle fait apparaître des connivences entre ces sites et l'émergence d'un réseau de blogs d'actualité et d'opinion regroupés sous l'expression de « réinfosphère » qui concourent à un programme de « réinformation », soit l’information rétablie face au contrôle supposé des médias dominants. Cette activité politico-informationnelle spécifique qu’est la « réinformation », inspiré d’une critique médiatique, trouve sur le web un espace privilégié en réseau, et vient souvent unir religion, culture et politique. 

À travers une recherche sur la constitution de la population catholique vietnamienne d’outre-mer, l’analyse de deux sites web et une enquête sociologique, le travail d’Anh-Ngoc Hoang, met en lumière l’appropriation des médias numériques par cette population et sa façon d’imaginer de nouvelles manières de pratiquer sa foi en situation de dispersion. Cette catholicité vietnamienne soulève le défi de repenser la compréhension de l’Église catholique sous l’angle du rapport entre le « en ligne » et le « hors ligne », entre l’ancrage solide des traditions et les connexions « liquides » contemporaines, offrant une recomposition identitaire, collective et spirituelle en ligne. 

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