« Archémuon », approches croisées pour l’exploration des structures souterraines

Lettre de l'InSHS Archéologie

#MÉTISSAGES

La géophysique appliquée est devenue un outil incontournable pour l’exploration et la compréhension des sites archéologiques, avant de procéder à toute fouille. Si les images obtenues sont parfois stupéfiantes de précision, de nombreux défis techniques restent encore à relever suivant les contextes archéologiques et environnementaux à étudier.

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Vue du Palais du miroir encore en élévation qui constituait la partie orientale du complexe thermal. Les galeries sont situées dans la partie occidentale, derrière les bâtiments visibles sur la photo © Christophe Benech

La géophysique appliquée à l’archéologie est par définition interdisciplinaire et son développement doit beaucoup à la collaboration étroite de chercheurs et chercheuses issus des sciences de la terre et des sciences humaines. Néanmoins, l’exploration du sous-sol peut bien entendu faire appel à d’autres disciplines. Dans cette optique, le projet « Archémuon » associe des physiciennes spécialisés en physique des particules qui travaillent sur la détection de muons (des particules produites naturellement dans l’atmosphère) pour déterminer des variations de densité de matière. Principalement utilisée en contexte tunnelier ou plus largement pour des études géologiques, les applications dans le domaine de l’archéologie s’avèrent prometteuses mais restent encore à préciser, en travaillant aussi sur la complémentarité des informations apportées par la géophysique : c’est ce qu’ambitionne de faire le projet « Archémuon ».

La mise en place du projet « Archémuon » est l’exemple même de l’importance de la mobilité de chercheurs et chercheuses non seulement entre différents laboratoires, mais aussi entre différents instituts. Le projet est basé sur la collaboration de trois laboratoires lyonnais issus de trois instituts différents : l’Institut de Physique des deux Infinis de Lyon (IP2I Lyon, UMR5822, CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1) rattaché à l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3), le laboratoire Archéorient (UMR5133, CNRS / Université Lumière Lyon 2) rattaché à l’Institut des sciences humaines et sociales (InSHS) et le Laboratoire de Géologie de Lyon : Terre, Planètes, Environnement (LGL-TPE, UMR5276, CNRS / ENS de Lyon / Université Claude Bernard Lyon 1) rattaché à l’Institut national des sciences de l'Univers (INSU). Si les deux derniers collaborent déjà sur différents projets en géomorphologie, géochimie ou encore en anthropologie biologique, le contact avec l’IP2I Lyon est venu de jeunes chercheurs ayant transité dans leur parcours doctoral et postdoctoral d’un Institut à l’autre. Antoine Chevalier et Quentin Vitale se rencontrent au sein du laboratoire Milieux Environnementaux, Transferts et Interactions dans les hydrosystèmes et les Sols (METIS, UMR7619, CNRS / EPHE / Sorbonne Université), rattaché à l’Institut écologie et environnement (INEE) et à l’INSU, tous deux travaillent en géophysique appliquée du proche sous-sol. Alors que le premier part faire un post-doctorat à l’IP2I Lyon dans l’équipe de Jacques Marteau, maître de conférence à l’université Claude Bernard Lyon 1 et directeur adjoint de l’IP2I Lyon, le deuxième est recruté par la société Eveha International et intègre le LabCom GEO-HERITAGE coordonné par Christophe Benech, chercheur CNRS spécialisé en géophysique appliquée à l’archéologie au laboratoire Archéorient.

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Principe général de la muographie. Les muons sont créés dans l’atmosphère après interaction des rayons cosmiques primaires au sommet de cette dernière (haut, droite). Ils sont détectés par un capteur appartenant à la catégorie des « trajectographes » (haut, gauche) capable de reconstruire et de compter l’ensemble des trajectoires de particules ayant survécu à la traversée de la cible étudiée (traits rouges sur le schéma du bas, convergeant vers le détecteur). La comparaison avec le flux de référence, en l’absence d’obstacle, permet de remonter à la distribution de matière à l’intérieur de la cible (ici les couches géologiques au-dessus du détecteur).

Les deux jeunes chercheurs étant toujours en contact, Antoine Chevalier et Jacques Marteau sont invités à venir présenter à la Maison de l'Orient et de la Méditerranée - Jean Pouilloux (MOM, FR3747, CNRS / AMU / ENS Lyon  / Université Claude Bernard Lyon 1 / Université Lumière Lyon 2 / Université Jean Monnet / Université Jean Moulin Lyon 3) les résultats qu’ils ont obtenus sur le tumulus (tertre artificiel élevé au-dessus d'une tombe) d’Apollonia en Thessalie. L’objectif est de tenter de reconnaître la présence d’une chambre funéraire au moyen d’un technique encore peu répandue : la détection par muons cosmiques ou muographie qui va permettre d’identifier des différences de densité de matière dans la structure. Il s’agit du même procédé testé sur la pyramide de Kheops en 2015, dans le cadre du projet « Scanpyramids », qui avait été très médiatisé même si les résultats scientifiques sont restés limités.

La muographie est basée sur l’utilisation d’un détecteur qui capte le flux de muons qui réussit à traverser la structure étudiée. La comparaison avec le flux de référence, en l’absence d’obstacles, permet de remonter à la distribution de matière à l’intérieur de la cible.

Les premiers résultats obtenus sont encourageants mais nécessitent de lever certains verrous techniques concernant une cible souterraine de dimensions plus faibles, comme c’est souvent le cas en archéologie, en comparaison avec les études réalisées par exemple sur les volcans. Fin 2020, Jacques Marteau recontacte Christophe Benech car il est à la recherche d’un site archéologique propice à proximité de Lyon pour lancer de nouveaux tests. Le site doit répondre à plusieurs critères : outre la proximité géographique, il faut que le détecteur puisse être placé en contrebas de la structure à étudier (comme pour une pyramide ou un tumulus) car il permet alors une détection azimutale des muons ; il est également nécessaire que le dispositif puisse être alimenté électriquement et placé dans un espace protégé car les mesures doivent durer plusieurs jours.

Christophe Benech, qui vient de démarrer un programme sur l’utilisation des méthodes géophysiques en contexte urbain moderne, a réalisé une série de prospections sur les communes de Vienne, Sainte-Colombe et Saint-Romain-en-Gal pour l’étude de la topographie de ces communes. Le site de Saint-Romain-en-Gal, en particulier, abrite un bâtiment relativement bien conservé mais encore mal connu, le « Palais du Miroir ». Cet édifice appartenait à un complexe balnéaire gallo-romain qui repose sur une série de galeries souterraines en partie éboulées et dont on ne connaît pas l’extension exacte. Christophe Benech suggère donc à Jacques Marteau d’y installer les détecteurs de muons afin de tenter de cartographier le prolongement des galeries. En parallèle, il lui propose de réaliser des prospections géophysiques en surface avec différentes méthodes (tomographie électrique, géoradar et sismique) afin de voir comment les deux approches pourraient se compléter. Jacques Marteau propose alors à Benoît Tauzin, maître de conférence à l’université Claude Bernard Lyon 1 et membre du LGL-TPE, de se joindre à eux pour tester une nouvelle méthode de prospection sismique basée sur l’utilisation de fibres optiques. Le projet Archémuon s’est construit sur ces trois collaborations et sur la base d’un partenariat avec le musée et sites gallo-romains de Saint-Romain-en-Gal.

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Prospection sismique sur le secteur occidental du Palais du Miroir. Les ondes sismiques sont générées manuellement par une masse qui frappe une plaque métallique posée sur le sol © Christophe Benech

Les premiers tests réalisés en septembre 2022 sur le site visaient à évaluer l’intérêt des différentes méthodes pour la détection et la cartographie des galeries. Une première prospection sismique a été réalisée par Ludovic Bodet, membre du laboratoire METIS, et par son équipe : trois profils sismiques ont été réalisés afin de caractériser un milieu profondément modifié par le développement urbain moderne et de voir si le réseau de galeries se différencie de cet environnement. Ces profils sismiques ont été couplés avec des profils de tomographie électrique ainsi qu’une couverture complète de toute la parcelle afin de reconnaître aussi le plan de l’extension des thermes à l’ouest de la partie encore en élévation. En parallèle, Jacques Marteau et son équipe ont installé pour quelques jours un compteur de muons afin de préparer la mise en place des détecteurs de muons.

La combinaison de ces trois approches devrait permettre une détection optimale des galeries. Le fait que la géophysique explore « vers le bas » alors que la détection de muons s’effectue « vers le haut » permet deux angles d’approche complémentaires qui pourraient faire émerger des perspectives d’exploration intéressantes pour certains vestiges. Cela peut concerner l’archéologie urbaine (réseaux d’égouts, caves ou citernes par exemple), l’archéologie minière (recherche des galeries d’extraction ou d’exhaures), ou encore l’archéologie funéraire pour des systèmes complexes de nécropoles creusées dans le rocher tels que ceux découverts à Alexandrie il y a une vingtaine d’années. Ce type d’étude préliminaire pourrait considérablement faciliter l’approche archéologique et jouer un rôle essentiel dans la détection, l’étude et la protection de ces sites souterrains.

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Installation du compteur de muons par Jacques Marteau dans la galerie la plus profonde et partiellement comblée du Palais du Miroir © Carol Müller

« ArchéMuon » est un projet de recherche interdiciplinaire multi-équipes soutenu par la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (MITI) du CNRS et par l’InSHS.

Coordination du projet : Christophe Benech, Archéorient ; Jacques Marteau, Institut de Physique des deux Infinis de Lyon ; Benoît Tauzin, Laboratoire de Géologie de Lyon : Terre, Planètes, Environnement

Contact

Christophe Benech
Chargé de recherche CNRS, Archéorient