Regard sur le soutien aux revues à l’InSHS : résultats de la campagne 2020-2021

Lettre de l'InSHS Institutionnel

Ingénieure de recherche CNRS, Astrid Aschehoug est éditrice en sciences humaines et sociales. Elle a rejoint l’InSHS le 1er mai dernier en qualité de chargée du soutien à l’édition scientifique et au développement de l’accès ouvert, au sein du pôle Science ouverte, édition scientifique et données de recherche.

Pour l’Institut des sciences humaines et sociales (InSHS) du CNRS, la campagne de soutien aux revues est un temps fort. Elle est traditionnellement organisée tous les deux ans. Son analyse mobilise non seulement des moyens humains de l’Institut comme sa directrice, ses directeurs et directrices adjoints scientifiques (DAS), son pôle Science ouverte et son pôle Ressources financières, mais aussi, hors Institut, les onze sections du Comité national rattachées à l’InSHS de façon principale ou secondaire et, nouveauté de cette dernière campagne 2020-2021, la direction des systèmes d’information (DSI) du CNRS. L’appui de la DSI allié aux compétences d’Emmanuelle Morlock, chargée de mission au pôle Science ouverte de l’InSHS entre 2019 et 2020, ont ainsi permis à chacune des revues candidates de remplir un formulaire en ligne pour la première fois. Cette chaîne de travail a, entre autres, eu pour avantage de faciliter le traitement semi-automatique des données fournies par les revues candidates et d’affiner leur analyse, sachant que ces deux objectifs ont été les véritables fils d’Ariane du traitement des quatre dernières campagnes1 .

Si la campagne de soutien aux revues est un temps fort, c’est parce qu’elle est un des rares dispositifs hexagonaux récurrents, avec la campagne d’aide annuelle du Centre national du livre (ministère de la Culture), à flécher des moyens à destination de supports de publication précis comme les revues. Au CNRS, l’InSHS est d’ailleurs le seul des dix Instituts à avoir maintenu ce dispositif historique qui s’adresse, pour sa part, aux revues scientifiques.

Ce n’est pas le fruit du hasard : l’édition scientifique de sciences humaines et sociales hexagonale, riche de sa singularité, de sa (biblio)diversité, offre presque autant de modèles et de fonctionnements possibles qu’il existe de revues non soumises au facteur d’impact et/ou à une économie de marché éditoriale anglo-saxonne assez prononcée. Or ce paysage singulier, caractérisé par ses forts contrastes et ses faibles marges, appelle en retour des moyens publics importants pour assurer une divulgation performante des résultats de la recherche.

Entre autres actions de soutien — aux infrastructures nationales comme OpenEdition et Métopes, notamment —, ce sont donc un peu plus de trois millions d’euros que l’InSHS verse chaque année au dispositif de l’édition scientifique. Cette somme a d’ailleurs été en hausse sur les dix années passées. Elle se répartit de la façon suivante : un budget de 220 000 euros sous forme de subventions réparties à l’occasion de la campagne de soutien bisannuelle dont nous parlons (contre 170 000 euros lors de la campagne précédente) ; une masse salariale de 2,80 millions d’euros d’environ soixante ETPT d’ingénieurs et techniciens (IT)2 dont l’activité est en priorité dédiée à l’accompagnement et à la réalisation des revues. Ces IT, en majorité ingénieurs d’études, sont répartis dans les diverses unités du CNRS grâce aux demandes de moyens qu’elles formulent à travers une campagne annuelle nommée « Dialog ». À noter que ces moyens humains du CNRS sont désormais plus spécifiquement attribués à des unités disposant de pôles éditoriaux comme il en existe dans les Maisons des sciences de l’Homme et ce, depuis une dizaine d’années3 .

La politique de soutien aux revues est composée de subventions et de moyens humains. Elle se traduit donc en deux processus bien distincts, sachant qu’une quarantaine de revues lauréates reçoivent de l’InSHS à la fois des subventions et des moyens humains. C’est d’ailleurs parce qu’ils sont rares que les enjeux les plus forts pèsent sur ces derniers.  

De fait, des confusions entre soutien sous forme de subvention et attribution de moyens humains peuvent assez logiquement en découler. Sur ce registre précis, rappelons qu’une revue qui ne candidate pas à la campagne de soutien voit ses chances de travailler avec un agent spécialisé en édition diminuer drastiquement. En effet, pour l’InSHS, l’enjeu n’est pas tant, à travers l’étude des dossiers, d’attribuer des subventions dont les montants sont assez modestes (entre 1 000 et 3 000 euros), que de lier connaissance avec les revues auxquelles elle attribue potentiellement des moyens humains.

Aussi importants soient-ils, ces moyens ne sont pas constitutifs d’une politique éditoriale qui serait directement instillée depuis l’InSHS. Ils ne procèdent pas non plus d’une politique de classement ou de labellisation. Ce sont des moyens concrets versés dans un dispositif académique autonome et indépendant, participant du rayonnement de la recherche à l’international.

Sur les 1 600 revues de SHS de l’Hexagone4 , 203 ont choisi de faire acte de candidature à une subvention à l’occasion de la dernière campagne ouverte au printemps 2019 pour le millésime 2020-2021. 138 lauréats se répartissent les 220 000 euros en passant par trois stades d’évaluation : l’évaluation par une ou deux sections du Comité national que la revue sollicite ; l’évaluation par le pôle Science ouverte de l’InSHS selon une grille de critères d’ouverture et de transparence préalablement affichés sur son site Internet ; un arbitrage selon les priorités scientifiques de l’Institut.

Parmi les avis des sections du Comité national sollicitées, 85 % des avis exprimés sont favorables ou très favorables, les autres avis étant soit « réservés » soit notés comme « sans avis ». Cela signifie de fait que les critères de bonne pratique éditoriale et de Science ouverte pèsent particulièrement dans les décisions prises quant à l’attribution des subventions. En effet, au CNRS, une politique de Science ouverte ambitieuse a été formulée et exprimée dans une feuille de route parue en 2019. Cette feuille de route s’inscrit elle-même dans le prolongement du premier Plan national pour la Science ouverte de son ministère de tutelle (2018).

Il en résulte que la question de l’accès ouvert oriente donc de façon significative l’attribution des subventions de la dernière campagne de soutien de l’InSHS. Des plafonnements ont ainsi été fixés en fonction du degré d’ouverture pratiqué au sein de la revue : 58 % des lauréats sont des revues à accès ouvert immédiat, c’est-à-dire consultables par tous sans abonnement et sans restriction ; les autres revues lauréates n’ont été éligibles qu’au plafond maximal de 1 500 euros en raison de leur barrière mobile d’un à deux ans effectifs ou réels (49 % des lauréats ; Figure 1). Rappelons qu’une barrière mobile est une durée pendant laquelle un contenu en ligne n’est accessible qu’à travers un abonnement payant. Dans la continuité de cette logique de plafonds, aucune revue à barrière mobile candidate pour la première fois n’a été lauréate. À noter qu’en fonction des sections, de fortes disparités dans les politiques d’ouverture se font jour entre les revues : moins de 30 % d’accès ouvert immédiat en section 37, contre plus de 70 % en section 38 (Figure 2).

Si l’augmentation relative du taux d’accès ouvert parmi les lauréats de la campagne a de quoi satisfaire (54 % d’accès ouvert en 2020, contre 42 % en 2017 ; Figure 1), son corolaire, le taux d’ouverture des revues ayant un agent mis à disposition par l’InSHS a, lui, de quoi interroger pour l’avenir (Figure 3). En effet, la répartition des agents se fait actuellement comme suit : 57 % des ETPT sont mis à disposition de revues lauréates en accès ouvert immédiat, contre 46 % à disposition de revues à barrière mobile.

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Figure 1 : Taux d’ouverture des revues lauréates

 

 

 

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Figure 2 : Taux d’accès ouvert immédiat par section du Comité national

 

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Figure 3 : Taux d’ouverture des revues lauréates disposant d’un IT

Or, depuis 2021, les objectifs du plan S en matière d’accès ouvert immédiat demandent aux chercheurs et chercheuses financés par l’Agence nationale de la recherche (ANR) ou par le Conseil européen de la recherche (ERC) de publier dans des revues sans barrière mobile. Dans ce contexte, la politique d’accès ouvert de l’InSHS appelle donc une prise en compte plus forte encore de ces orientations inscrites également dans la seconde version du Plan national pour la Science ouverte. Elle exige également de faire mieux correspondre les moyens offerts à l’ensemble de la communauté de l’édition scientifique avec les orientations fixées au niveau national et européen.

En bon exemple de la complémentarité des moyens à envisager, pour l’InSHS, la construction des pôles éditoriaux figure en priorité. Pour encourager les revues à dépasser la question de la barrière mobile et les voir évoluer vers d’autres modèles de diffusion complètement ouverts, d’autres moyens financiers comme ceux du Fonds national pour la Science ouverte (FNSO) ont pu être spécifiquement convoqués pour créer ces pôles et les aider à démarrer leur activité5 . C’est, entre autres, le cas au pôle éditorial de la région Grand-Ouest qui bénéficie des compétences de deux éditrices CNRS et d’une aide de la première vague du FNSO. Ainsi, certains projets structurants ont clairement bénéficié d’un soutien et d’une aide couplés et pensés en complémentarité l’un de l’autre. Dans ce type de montage, les moyens humains du CNRS assurent aux revues un indispensable maillage de compétences professionnelles pour penser et pour accompagner les évolutions des revues d’un périmètre local. Dans un dispositif consistant, ces compétences métier pérennes forment le socle d’une action qualitative pensée sur le long terme.

  • 1Campagne 2014-2015 : 220 revues candidates ; campagne 2016-2017 : 196 revues candidates ; campagne 2018-2019 (prolongée en 2020) : 171 revues candidates ; campagne 2020-2021 : 203 revues candidates.
  • 2 Ce chiffre ne représente pas 60 agents complètement dédiés à l'édition mais des fractions de temps de travail de plusieurs agents qui, cumulées, conduisent à 60 équivalent temps plein annuel travaillé (ETPT).
  • 3Voir à ce sujet Aschehoug A., Thély N. 2021, Le soutien à l’édition scientifique dans les MSH, Lettre de l’InSHS no 74 : 26-28 ; et l’article d’Isabelle Laboulais et al. dans le présent numéro. Par ailleurs, un tiers de l’effectif des équivalent temps plein annuel travaillé (ETPT) dédiés à l’édition est actuellement attribué à des unités disposant de pôles éditoriaux.
  • 4Le Borgne F. 2020, Étude sur l’économie des revues françaises en sciences humaines et sociales - Rapport final, p. 11.
  • 5Voir à ce sujet Aschehoug A., Thély N. 2021, Le soutien à l’édition scientifique dans les MSH, Lettre de l’InSHS no 74 : 26-28.

Contact

Astrid Aschehoug
Chargée de la politique de soutien aux revues scientifiques et données de recherche