Espaces et Sociétés

Où est passé le peuple ?, Vol. 156-157, n°1-2/2014

Espaces et Sociétés est une revue à comité de lecture en sciences humaines et sociales, interdisciplinaire, internationale et francophone. Elle se propose de faire la synthèse des multiples savoirs sur les rapports des sociétés à leurs espaces. Elle s’est définie à sa naissance, en 1970, comme une « revue critique internationale de l’aménagement, de l’architecture et de l’urbanisation ». Dans un esprit d’ouverture et de confrontation entre disciplines différentes, elle s’efforce de contribuer aux grands débats concernant ce champ, qu’ils soient spécifiques au monde de la recherche ou qu’ils concernent plus directement les acteurs sociaux.

La question au centre de ce numéro « où est passé le peuple ? » est double : d’un côté, il s’agit de se demander où vivent les classes populaires aujourd’hui, dans un contexte de gentrification avancée des centres villes ; d’un autre côté, cette interrogation s’adresse aussi à la recherche urbaine qui passerait de plus en plus sous silence les classes populaires laissant la place à bien des caricatures. Ce dossier est donc aussi une interpellation et une invitation à renouveler l’analyse des rapports à l’espace des classes populaires. Les articles retenus témoignent du fait que des jeunes chercheurs ont d’ores et déjà pris la relève sur cette question. Ils analysent les recompositions contemporaines des rapports à l’espace des classes populaires dans différents types d’espaces. Ils explorent non seulement leur relation à l’habitat, mais aussi à l’espace local dans ses différentes dimensions, notamment en termes de sociabilité, de rapports sociaux et de pratiques de solidarité.

Les deux premiers textes s’intéressent aux mal-logés et aux locataires de logements sociaux à Paris et à leur relation à l’habitat et au quartier.
Pascale Dietrich-Ragon s’attache aux classes populaires qui, malgré les prix de l’immobilier, parviennent encore à vivre dans la capitale. Bien souvent mal logés, résister à l’exil hors de Paris est cependant la première des priorités. À leurs yeux, la capitale permet de compenser des conditions de travail difficiles, d’échapper à la ségrégation territoriale et au déclassement qui résulterait d’un départ pour la banlieue. Rester à Paris est considéré comme une façon de favoriser les projets d’ascension sociale.
Lydie Launay enquête aussi sur les habitants ayant échappé aux processus d’éviction hors de la capitale mais qui ont pu accéder au logement social dans les beaux quartiers du 8e arrondissement. Alors que pour certains, s’inscrire en tant que « minorités » dans ce quartier est synonyme de marginalisation sociale, d’autres l’envisagent comme un levier d’ascension sociale, notamment à travers l’école et la sociabilité´ des enfants.

Les deux textes suivants analysent deux cas assez proches de copropriétés dégradées datant de l’après-guerre.
Les Bosquets à Clichy-Montfermeil est un exemple emblématique de ces copropriétés en difficulté situées au sein de grands ensembles. Sylvaine Le Garrec montre qu’elle accueille une population dont le positionnement social est tout particulièrement fragile. L’histoire des Bosquets et les trajectoires de ses habitants révèlent que loin d’être un refuge sécurisant, ce type de copropriété aggrave au contraire la précarité des classes populaires qui y sont logées. 
En analysant les parcours résidentiels des locataires de trois copropriétés dégradées marseillaises, Johanna Lees en arrive à une conclusion analogue. Elle décrit comment « habiter » ce type d’habitat représente une rare opportunité d’accéder au logement pour certaines fractions des classes populaires, mais entraîne de fortes contraintes contribuant à accentuer leur précarité. De fait, les copropriétés construites après la Seconde Guerre mondiale peuvent devenir un nouvel habitat social.

Deux autres textes explorent les classes populaires habitant les périphéries urbaines, l’un examinant en particulier le rapport à l’habitat et l’autre l’engagement local dans une commune périurbaine.
Samuel Deprez et Philippe Vidal traitent d’un habitat auto-construit aux limites de la ville du Havre, sur le littoral, comme expression d’une « quête d’ailleurs » de la part des couches populaires. Des travailleurs et des retraites, financièrement démunis, y concrétisent non loin de chez eux, dans une illégalité jusqu’ici tolérée, le rêve pavillonnaire que leurs faibles revenus leur interdisent de réaliser ailleurs. Sur cet espace, s’exprime une figure de la « résidence secondaire de proximité » qui traduit des formes inédites de bi-résidentialité populaire.
Violaine Girard analyse, à partir d’une enquête ethnographique menée dans une commune périurbaine majoritairement habitée par les ménages des classes populaires, les formes de sociabilité locale dans lesquelles ceux-ci sont engagés. Leurs pratiques ne sont pas marquées du sceau d’un strict repli sur la sphère domestique. Les scènes associatives et municipales apparaissent au contraire comme d’importants lieux de mobilisation pour des fractions supérieures des classes populaires qui y construisent collectivement les signes de leur appartenance locale et de leur respectabilité´ sociale.

Enfin, le dernier texte pose les jalons d’une recherche globale sur les pratiques et l’habitat des classes populaires dans différents contextes urbains, aspirant à un renouvellement de ces approches « Comment étudier les classes populaires aujourd’hui ? » Telle est l’interrogation formulée en guise d’intitulé par le collectif de chercheurs Rosa Bonheur. Depuis la fin des années 1970, le modèle de développement économique néolibéral a entraîné le délitement de la société salariale, affectant directement le quotidien des classes populaires. Cet article propose des éléments d’analyse issus d’une enquête collective en cours qui réunit trois équipes, en France, en Espagne et en Argentine, autour de préoccupations communes pour les reconfigurations des classes populaires et pour leur analyse empirique.

 

La Revue Espaces et Sociétés