« Les SHS doivent éclairer la décision publique en cette période de crise »

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Dès le début de la crise, une plateforme a été lancée pour mieux coordonner les recherches en sciences humaines et sociales (SHS) et en santé publique.

La pandémie de COVID-19 suscite une réflexion inédite sur la capacité de notre société à répondre aux problèmes médicaux et sanitaires, politiques, juridiques, éthiques, économiques mais également sociaux et culturels. De nombreux chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales et en santé publique ont ainsi répondu à plusieurs appels à projets de la recherche. Créée par le CNRS et l’Inserm, la Coordination « Crises sanitaires et environnementales - Humanités, sciences sociales, santé publique » (HS3P-CriSE) a pour de objectif mieux coordonner les activités dans le domaine en SHS et en santé publique autour du COVID-19 et d’accompagner l’émergence de nouvelles recherches. Celles-ci devraient être susceptibles d’éclairer la décision publique dans le contexte actuel, et sur le plus long terme, de proposer des orientations structurantes pour la recherche sur les maladies infectieuses et les grandes crises sanitaires et environnementales.

Une action de coordination

C’est pour encourager cette dynamique que le CNRS, au travers de son Institut en sciences humaines et sociales (INSHS), et l’Inserm, au travers de son Institut Santé publique, se sont rapprochés dès le 23 mars pour faire émerger la coordination HS3P-CriSE, sous l’égide des alliances Athena1 et Aviesan2 , et également susceptible de se placer sous l’égide de l’alliance AllEnvi3 . « L’ambition est de mettre les meilleures forces de recherche de l’ESR français au service de la compréhension de la pandémie, et de favoriser l’élaboration d’outils, de cadres d’analyse, de méthodes, de la façon la plus coordonnée qui soit », indiquent Marie Gaille, directrice scientifique adjointe scientifique à l’INSHS et coresponsable de la coordination HS3P-CriSE avec Rémy Slama, directeur de l’Institut Santé publique de l’Inserm.

Depuis son lancement, l’initiative se construit progressivement en lien direct avec de nombreux représentants4 des principaux acteurs dans ce domaine et s’articule avec le réseau national des Maisons des sciences humaines (MSH). Ce réseau s’appuie sur quelques unes de ces MSH pour identifier des compétences scientifiques en région et suivre le développement d’appels à projet régionaux, et étayer le travail collectif à l’échelle nationale à travers plusieurs actions en cours d’élaboration. Parmi ces dernières, le suivi des controverses, un projet de série de vidéo de dissémination scientifique sur les connaissances relatives à la pandémie, l’ingéniérie de recherche notamment dans la gestion des données, etc.

Des propositions innovantes

Une première phase—en cours actuellement—consiste à mieux identifier les projets déjà engagés, déjà financés ou élaborés, en recherche de financement et en émergence, non seulement en France, mais à l’international. Cela afin d’éviter les redondances et d’encourager l’articulation entre les diverses compétences de recherche. Des outils tels que la World Pandemic Research Network5 , proposé par le Réseau français des Instituts d’études avancés, permettent de présenter les projets en cours à l’international.

« Nous avons déjà pu consolider certaines informations qui sont désormais à disposition de la communauté de recherche telles que des enquêtes relatives à l’expérience du confinement, les appels à projet passés, présents et à venir, les résultats des appels clos, la création d’outils de recherche bibliographique innovants, le suivi de situations à l’international et la mise à disposition de données à l’international, notamment via les UMIFRE6 . Tout cela est rendu disponible sur la page dédiée à la Coordination HS3P-CriSE. Et nous réfléchissons actuellement à la mise en place d’une site dédié, inter-alliances », explique Marie Gaille.

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Marie Gaille, directrice scientifique adjointe scientifique à l’INSHS et coresponsable de la coordination HS3P-CriSE © C. CHEVALLIER.COM

 

La décision publique en période de crise

Mais c’est la deuxième phase de cette action de coordination qui est véritablement le cœur du projet. Un groupe de coordination et des groupes de travail en cours de constitution vont élaborer des grandes questions de recherche. « L’effort de cette action portera notamment sur la décision publique en période de crise : ses dynamiques, son remodelage, ses enjeux éthiques et politiques, et sur l’enjeu des recomposition(s) de notre monde », explique Marie Gaille. Ce cadre de réflexion recouvre plusieurs éléments : l’organisation de la vie économique et du travail, du système de soins et des services de santé, de la protection des plus vulnérables, et de façon centrale, l’analyse de la place que doit occuper l’environnement dans nos cadres de compréhension et d’action politique, sur le plan des enjeux.
De nombreux chercheuses et chercheurs élaborent par exemple actuellement une analyse sur  l’impact sanitaire des inégalités sociales, le rôle joué par la télémédecine, l'impact d'une crise sur le système sanitaire - en termes de pression mais aussi de réaction professionnelle, les formes informelles de l’économie, la place occupée par les questionnements sur la « démondialisation » et à l’inverse « les solidarités internationales », la place de la discussion sur l’écologie dans les vies individuelles et les décisions politiques, à l’échelle nationale ou internationale. « Mais ces thématiques vont s’enrichir d’autres aspects qui émergerons dans les semaines à venir, et au fur et à mesure que l’on prend du recul sur la situation »,
ajoute-t-elle.

Du court au long terme

Enfin, cette action de coordination s’envisage selon plusieurs temporalités. Par-delà les besoins d’analyse et d’outils pour des réponses à court terme, elle souhaite être le creuset d’orientations scientifiques structurantes afin de pouvoir, dans les mois à venir, porter ces orientations auprès des instances de financement de la recherche au niveau national (ANR, IReSP notamment), ou international (Belmont Forum par exemple) ou au sein des organismes de recherche. Dans les mois qui viennent, la Coordination HS3P-CriSE vise l’émergence de consortia de recherche sur les sujets évoqués précédemment, étayés par le capital scientifique dont disposent les SHS et la recherche en santé publique pour analyser la pandémie ; et elle les accompagnera dans la recherche de financement en France et au niveau européen. 

  • 1L’Alliance thématique nationale des sciences humaines et sociales (Athéna) a pour mission d’organiser le dialogue entre les acteurs majeurs de la recherche en sciences humaines et sociales sur des questions stratégiques pour leur développement et leurs relations avec les autres grands domaines scientifiques.
  • 2L’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé a pour mission la coordination scientifique de grandes thématiques de recherche, transversales à tous les organismes de recherche français.
  • 3AllEnvi, l'alliance nationale de recherche pour l'environnement fédère, programme et coordonne la recherche environnementale française pour relever les grands défis sociétaux de l'alimentation, de l'eau, du climat et des territoires.
  • 4La Conférence des Présidents d’Université, l’Institut national d’études démographiques (INED), l'Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), etc., ainsi que et d’autres établissements, écoles, organismes, tels que le CNAM ou l’École des Hautes Études en Santé Publique, sont également sollicités.
  • 5Cette plateforme, basée à la fois sur le crowdsourcing et la mobilisation d’un expertise référente distribuée, documente en temps réel ce qui se fait dans le monde en terme de recherche en SHS et permet à chacun d’enregistrer ses ressources (projets de recherche, appels à propositions, enquêtes, séminaires, etc.), mais également de se mettre en rapport avec les responsables concernés de chaque projet.
  • 6Réseau des Instituts français de recherche à l'étranger spécialisé en SHS et sous la cotutelle CNRS et Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.