Impacts du changement climatique et solutions d’adaptation dans les îles tropicales : les enseignements du 6e rapport d’évaluation du GIEC

Résultats scientifiques Sciences des territoires

Le volume 2 du 6e rapport d’évaluation du GIEC porte sur la thématique « Impacts, Vulnérabilité et Adaptation ». Il met en évidence l’augmentation des impacts du changement climatique sur les petites îles, qui pourrait rendre certaines d’entre elles inhabitables au cours de ce siècle. Il met également en exergue le renforcement des efforts d’adaptation dans ces territoires, ainsi que l’importance de promouvoir un développement plus durable et climato-résilient pour réduire les impacts du changement climatique. À ce stade, faute d’évaluation, il reste difficile de mesurer l’efficacité des politiques et des actions qui ont été mises en œuvre. Cela constitue une urgence, quand on sait que les populations des petites îles tropicales comptent parmi les trois milliards d’habitants les plus vulnérables au changement climatique de la planète, aux côtés des populations de l’Arctique, de l’Afrique, de l’Amérique Centrale et du Sud, et de l’Asie du Sud. Virginie Duvat, professeur de géographie et chercheuse au laboratoire Littoral, environnement et sociétés (LIENSs, UMR7266, CNRS / La Rochelle Université), a participé en tant qu'autrice principale au chapitre « Petites îles » et nous en livre ici une synthèse.

Quels sont les impacts observés du changement climatique dans les îles tropicales ?

Le changement climatique engendre une augmentation de la fréquence, de l’intensité (niveaux d’eau atteints) et de l’étendue des submersions marines, due aux effets combinés de l’élévation du niveau marin, des tempêtes (notamment cycloniques), des hauts niveaux marins associés au phénomène d’Oscillation Australe El Niño ou aux hautes mers de vive-eau, et des impacts négatifs des aménagements. Par exemple, aux Maldives, les submersions majeures de 1987 et de 2007 ont été engendrées par la combinaison de houles de tempête avec l’élévation du niveau de la mer et de hautes mers de vive-eau. Leurs impacts ont été très marqués dans les zones gagnées artificiellement sur la mer et présentant une très faible altitude. Les phénomènes de submersion-inondation sont de plus en plus fréquents : ils résultent des effets cumulés des submersions marines avec de fortes précipitations engendrant le débordement des cours d’eau et l’accumulation d’eau dans les zones urbaines aux sols imperméables (par exemple, à la Réunion en 2014, au Vanuatu en 2015, à Saint-Martin en 2017). On observe aussi des inondations majeures dues à des épisodes pluvieux successifs, comme à Fidji en 2012 et aux Îles Salomon en 2014.

Les sécheresses sont de plus en plus sévères dans la Caraïbe (Cuba) et dans le Pacifique (Vanuatu), et affectent les ressources en eau douce et l’agriculture. Les ressources alimentaires sont également affectées par la dégradation des écosystèmes marins et côtiers, qui réduit leur disponibilité et leur renouvellement.

La dégradation accélérée des écosystèmes marins et côtiers, en particulier des récifs coralliens qui subissent des épisodes de blanchissement et de mortalité de plus en plus rapprochés et dont ils mettent de plus en plus de temps à se remettre (environ quinze ans aujourd’hui), affaiblit la fonction de protection côtière que rendent ces écosystèmes aux sociétés insulaires. Cette fonction tient d’abord à leur capacité d’amortissement par ces écosystèmes des vagues de tempête (réduction de leur hauteur à la côte de 70 % pour les récifs coralliens, de 36 % pour les herbiers marins et de 31 % pour les mangroves — et donc de leur énergie, jusqu’à 97 % pour les récifs coralliens). Elle tient aussi au fait qu’ils fournissent (pour les récifs coralliens) et fixent (pour les mangroves, les herbiers marins et les systèmes côtiers végétalisés) les sédiments dans les zones côtière et intertidale, ce qui permet à ces derniers écosystèmes de s’ajuster au niveau de la mer et donc de compenser son élévation. La dégradation de ces écosystèmes exacerbe la submersion marine et l’érosion côtière. Les impacts du changement climatique sur les écosystèmes se répercutent sur les secteurs économiques qui sont, en milieu insulaire tropical, fortement dépendants du système climat-océan (tourisme, agriculture, pêche) et des écosystèmes marins, côtiers et terrestres (tourisme, aquaculture).

On observe de plus en plus d’événements combinés caractérisés par des impacts cumulés et en cascade qui affectent toutes les dimensions de la vie humaine, au point d’engendrer des « crises totales » et durables qui déstabilisent les territoires et engendrent des déplacements de population. Par exemple, entre 1998 et 2016, les Maldives ont été affectées par trois événements climatiques et un événement tectonique majeurs qui ont eu des impacts cumulés et durables sur les écosystèmes et la vie humaine. Les événements El Niño de 1997-1998 et de 2016 ont respectivement fait chuter le taux de recouvrement corallien de 90 % et de 75 %, avec des répercussions sur les ressources alimentaires associées, la santé humaine et le tourisme. À cause des perturbations anthropiques de l’écosystème récifal (pollution, sédimentation d’origine humaine, impacts des aménagements), la résilience a été plus longue (d’environ quinze ans) qu’après l’épisode El Niño de 1987 (quelques années). En 2004, le tsunami de Sumatra a causé des dégradations supplémentaires aux récifs coralliens en cours de régénération et des dommages représentant 62 % du Produit National Brut ; il a engendré le déplacement de 10 % de la population. En 2007, une houle d’origine lointaine a causé la submersion de nombreuses îles, et des dommages supplémentaires. Cet exemple illustre bien les effets cumulés, combinés et durables d’événements successifs rapprochés sur des atolls. Un autre exemple tient aux effets cumulés des cyclones tropicaux de 2017 dans la Caraïbe. Vingt-deux des vingt-neuf petits États insulaires en développement de cette région ont été touchés par au moins un cyclone de catégorie 4 ou 5 pendant la saison cyclonique 2017. Ces cyclones ont mis en évidence le rôle de l’exposition des îles (sur toute leur surface, avec une forte concentration de la population et des infrastructures critiques dans la zone côtière exposée non seulement au vent mais aussi à la houle et aux inondations) et de la vulnérabilité (de l’habitat, due à un accès limité aux transports et donc aux secours, à l’eau et à l’alimentation en situation de crise, et à un manque de préparation à de tels événements) de ces territoires dans l’ampleur de la catastrophe, avec des impacts très élevés sur la santé humaine, provoquant dans certains cas (Bahamas, Barbuda) le déplacement durable de populations entières. La crise cyclonique a ensuite été aggravée par la pandémie de COVID-19.

Quels risques le changement climatique fait-il encourir aux îles tropicales à l’échelle du xxie siècle ?

Un réchauffement de 1,5°C par rapport à la période préindustrielle réduira l’habitabilité de certaines îles tropicales, en particulier des atolls des océans Indien et Pacifique. Cette perte d’habitabilité sera causée par les effets cumulatifs et en cascade de sept grands facteurs :

  1. La perte de biodiversité terrestre et marine et des services écosystémiques associés (niveau de confiance élevé),
  2. La submersion des îles coralliennes les plus basses (faible niveau de confiance),
  3. La réduction de l’accès de la population à l’eau douce (niveau de confiance moyen à élevé),
  4. La destruction des zones habitées et des infrastructures par les événements climatiques extrêmes (niveau de confiance élevé),
  5. La dégradation de la santé et du bien-être humains (faible niveau de confiance),
  6. Le déclin des principaux secteurs de l’économie et l’effondrement des modes de vie (niveau de confiance élevé),
  7. La perte des ressources et du patrimoine culturels (faible niveau de confiance).

La perte d’habitabilité qui affectera les îles basses et les régions côtières basses des îles hautes aura pour conséquence une augmentation des déplacements de population et des migrations pouvant aller jusqu’au dépeuplement des espaces impactés.

Le risque de submersion-inondation va augmenter de manière significative sous l’effet d’événements combinés. Par exemple, des études réalisées à Honolulu (Hawaii) projettent une hausse de la fréquence et de l’étendue spatiale des submersions sous l’effet de la combinaison de l’élévation du niveau de la mer, de l’inversion de l’écoulement dans les systèmes d’évacuation pendant les marées de vive-eau et de l’augmentation du niveau des nappes d’eau souterraines. Certaines îles coralliennes habitées d’atolls, par exemple dans les Iles Marshall, à Kiribati, à Tuvalu, ou aux Maldives, pourraient être submergées sur la totalité ou la quasi-totalité de leur surface à partir de 2060-2090 si le scénario climatique pessimiste RCP8.5 se réalise.

L’érosion côtière va s’aggraver. Des cas de contraction et de disparition d’îles coralliennes ont été observés dans les Îles Salomon et dans le lagon de Nouvelle Calédonie. Dans les Îles Salomon, ils ont été attribués aux effets cumulés de l’élévation du niveau de la mer, du renforcement des alizés dû au changement climatique et de la tectonique. Le changement climatique entraînera une augmentation de l’érosion et des modifications majeures de la configuration des îles coralliennes, telles qu’une réduction de leur largeur et une diminution de leur volume et de leur altitude.

La dégradation des écosystèmes marins et côtiers, qui engendre l’effondrement des services écosystémiques qu’ils rendent aux sociétés humaines, va s’accélérer. À l’échelle globale, un réchauffement de 1,5°C en 2100 (on est déjà aujourd’hui à 1,2°C de réchauffement par rapport à la période préindustrielle) engendrerait la perte de 70 à 90 % des récifs coralliens actuels et un réchauffement de 2°C la disparition de 99 % des récifs. L’on estime qu’au-delà de 6 mm/an d’élévation du niveau marin, les mangroves ne pourront plus compenser l’élévation du niveau de la mer et mourront. Les impacts sur un écosystème en particulier se répercuteront sur les autres écosystèmes, car les écosystèmes sont interdépendants. Par exemple, la mort des récifs coralliens qui jouent un rôle-clé dans l’amortissement des vagues de tempête engendrera une augmentation de l’énergie des vagues atteignant les mangroves et les herbiers marins d’arrière-récif, ce qui aura pour effet d’engendrer leur dégradation, voire leur destruction.

Ces différents impacts auront à leur tour des conséquences négatives sur les secteurs d’activité économiques, les modes de vie, les ressources et le patrimoine culturel, et la santé et le bien-être humain. La redistribution des poissons pélagiques, dont les trajectoires migratoires sont modifiées et qui constituent une ressource halieutique et économique (licences de pêche) capitale pour de nombreux États insulaires du Pacifique, perturbera l’économie et les ressources alimentaires disponibles.

 

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Les neuf risques majeurs causés par le changement climatique dans les îles tropicales

 

En termes d’adaptation, où en est-on ?

Les îles tropicales déploient des efforts d’adaptation accrus, souvent avec le soutien d’acteurs extérieurs. Bien que l’ingénierie côtière, importée des pays du nord, constitue toujours la pratique dominante pour faire face aux risques d’érosion côtière et de submersion marine, d’autres stratégies sont aujourd’hui expérimentées. Elles connaissent cependant des applications limitées pour différentes raisons, qui ont trait à leur coût élevé, aux contraintes techniques et foncières qu’elles soulèvent, et parfois aussi à leur impopularité. Il s’agit :

  1. De l’accommodation, qui consiste par exemple à surélever l’habitat et les infrastructures critiques (par exemple, en Polynésie française, à Porto Rico, aux Philippines) pour les placer au-dessus des niveaux marins extrêmes ;
  2. De la création d’espaces artificiels plus élevés que les espaces naturels, qui prennent la forme de remblais localisés ou d’îles artificielles comme Hulhumalé aux Maldives ;
  3. Des solutions fondées sur les écosystèmes, qui incluent en particulier le recours aux récifs artificiels (République Dominicaine, Antigua, Grenade, Iles Cayman, Maurice, Maldives), l’alimentation artificielle des plages en sable (Barbade, Maldives, Maurice), la restauration de mangrove (Fidji, Maurice, Seychelles), et qui s’appuient, en particulier dans le Pacifique, sur les savoirs locaux ;
  4. De la relocalisation des populations, infrastructures et activités économiques menacées vers des espaces intérieurs plus sûrs (Fidji, Maurice).

 

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Les solutions utilisées pour réduire les risques côtiers et leur évolution récente dans les îles tropicales

Cependant, dans de nombreux cas, ces solutions n’ont encore à ce jour démontré ni leur faisabilité à grande échelle, ni leur capacité à réduire efficacement et durablement les risques, sauf dans le cas de la relocalisation. Par ailleurs, les mesures de prévention des risques via la planification spatiale, l’efficacité des systèmes d’alerte et des procédures d’évacuation par exemple, demeurent insuffisantes et inégalement efficaces dans ces territoires.

Des mesures d’adaptation sont également mises en œuvre pour limiter les impacts du changement climatique sur les modes de vie et les secteurs d’activité économique. Les pêcheurs s’adaptent par la diversification de leur activité, le recours à l’assurance, la modification des zones de pêche, l’investissement dans de nouvelles technologies et de nouveaux équipements, et la formation (Antigua, Vanuatu, Madagascar, République Dominicaine). De la même manière, les agriculteurs diversifient leur activité et modifient leur production en s’orientant vers des cultures et des variétés plus adaptées, en investissant dans l’irrigation ou en constituant des stocks (Jamaïque, Vanuatu, Fidji, Porto Rico). Le secteur du tourisme démontre également une capacité d’adaptation, liée aux savoirs locaux dans le Pacifique et à la promotion du tourisme « vert » (exemples : Seychelles, Vanuatu).

Les conditions favorisantes pour l’adaptation relèvent : de la connaissance, qui demeure lacunaire dans nombre de domaines à l’échelle régionale et insulaire ; des capacités financières, réduites dans les territoires insulaires qui dépendent largement des aides extérieures ; de la capacité à collaborer au plan régional, par exemple à travers une gestion régionale des stocks de pélagiques, expérimentée dans le Pacifique ; des capacités politiques et institutionnelles, cruciales pour adopter des réglementations facilitantes, par exemple pour la relocalisation, ou au contraire contraignantes, par exemple pour réguler les constructions dans la bande côtière ; de facteurs socio-culturels, qui peuvent être illustrés par le rôle des réseaux sociaux et communautaires dans la gestion des crises cycloniques (Caraïbe) ou la capacité à lever des fonds communautaires (Samoa, Salomon, Jamaïque) ou à avoir recours au micro-crédit (Belize, République Dominicaine).

Promouvoir un développement plus durable en réduisant les impacts négatifs des activités humaines sur les écosystèmes, et climato-résilient, en favorisant les synergies entre réduction des risques, adaptation et développement à travers la promotion de partenariats public-privé et de collaborations, est crucial pour soutenir l’adaptation dans les îles tropicales.

Au cours de ce siècle, le succès des politiques d’adaptation dépendra non seulement de la capacité des territoires à promouvoir des politiques d’adaptation ambitieuses, c’est-à-dire transformationnelles (par exemple, la relocalisation des populations et biens menacés en zone sûre), mais aussi des efforts d’atténuation réalisés à l’échelle globale. Sans réduction immédiate et ambitieuse des émissions de gaz à effet de serre, le panel des options d’adaptation disponibles (par exemple, l’adaptation fondée sur les écosystèmes) et les bénéfices que produiront les mesures d’adaptation se réduiront significativement.

Contact

Virginie Duvat
Professeure de géographie et chercheuse au laboratoire Littoral, environnement et sociétés