Revue du droit des religions

La loi confortant le respect des principes de la République, n° 13 | 2022

Sous la direction de Vincente Fortier et Gérard Gonzalez

Revue semestrielle à comité de lecture, la Revue du droit des religions a été créée en 2016 sous la direction de Francis Messner pour rendre compte des travaux dédiés à l’encadrement par le droit du phénomène religieux dans ses dimensions individuelles et institutionnelles. En explorant l’ensemble des mécanismes juridiques applicables au fait religieux, elle ambitionne d’éclairer les débats suscités par les manifestations de la pluralité religieuse et de la sécularisation dans les sociétés contemporaines (liberté de religion, signes religieux, religion au travail, rôle des institutions publiques…) et de constituer un outil essentiel de réflexion et d’analyse ouvert à la diversité des opinions et courants doctrinaux.

Outre un dossier thématique, chaque numéro comporte des varia restituant des recherches originales ainsi que des chroniques sur l’actualité du droit des religions en France et à l’étranger et, une fois par an, des notes de lecture. Les modalités de soumission et d’évaluation des articles sont détaillées sur le site de la revue.

Principale revue francophone consacrée à la régulation juridique des activités et institutions religieuses, la Revue du droit des religions s’adresse à un lectorat diversifié intéressé par l’étude du fait religieux et souhaite associer un maximum d’auteurs. Au-delà des spécialistes de la discipline, juristes publicistes, privatistes ou internationalistes, elle accueille aussi sociologues, historiens, philosophes… à même d’apporter les éclairages utiles à la compréhension des thématiques abordées. Publiant des articles en français et plus rarement en anglais, elle s’attache également à diffuser des traductions de contributions rédigées dans d’autres langues pour rendre compte des questions en jeu dans les différents pays européens et au-delà.

Éditée par les Presses universitaires de Strasbourg, la Revue du droit des religions paraît en version papier et en version numérique en mai et novembre de chaque année. Tous les numéros sont disponibles dès parution en accès ouvert et en texte intégral sur OpenEdition Journals sous licence CC BY-NC.

Le dernier numéro publié consacre son dossier à la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Cette loi fait, dans ce dossier, l’objet d’une mise en perspective critique par des spécialistes reconnus de l’une ou l’autre pièce de ce texte, comportant un grand nombre de mesures disparates relatives à plusieurs domaines à propos desquels il paraissait nécessaire de légiférer afin d’endiguer des processus qualifiés de séparatistes, mettant à mal l’universalisme républicain. La perception dominante du texte adopté est sa fonction essentiellement répressive, potentiellement liberticide qui, sous couvert de lutter contre un mal qui affleure sans jamais être nommément désigné (l’extrémisme islamiste) touche le cœur d’un certain nombre de libertés fondamentales. Dans sa Présentation générale de la loi confortant le respect des principes de la République, Éric Sales commence par analyser « les dispositions législatives concernant les collectivités publiques, les services publics et les activités associées », qui valorisent, notamment, le principe de neutralité de la sphère publique. La loi procède pour une large part à une forme de codification de l’existant jurisprudentiel. Bien que les dispositions législatives limitent « de nombreux droits et libertés constitutionnellement reconnus », peu nombreuses sont celles qui ont fait l’objet d’une censure ou d’une réserve d’interprétation de la part du Conseil constitutionnel.

De toutes les libertés entrant dans le champ de la loi nouvelle, c’est sans aucun doute celle d’association qui semble la plus malmenée. Au cœur de cette question se situe le contrat d’engagement républicain qu’Elsa Forey analyse en s’interrogeant sur les changements que l’introduction de celui-ci provoque (Le contrat d’engagement républicain : quels changements pour les associations ?). Désormais, l’octroi d’un avantage sollicité par l’association auprès d’une personne publique est lié à la souscription et/ou au respect du contrat d’engagement républicain, qui n’en est réellement pas un, et qui soulèvera de nombreuses difficultés d’application. Selon Gérard Gonzalez et Philippe Goni (Une garantie paradoxale du libre exercice du culte : la loi du 24 août 2021 et les associations à objet cultuel), les profondes modifications des lois du 9 décembre 1905 et du 2 janvier 1907 oscillent entre entreprise de séduction visant à promouvoir le statut de 1905 et durcissement d’un contrôle de plus en plus rigoureux et invasif de toutes les associations à objet cultuel dans le but avéré de promouvoir, parmi les statuts accessibles tous aussi contraignants, celui de 1905. Le droit civil n’est pas oublié.

Comme le souligne Vincent Egéa (Les effets de la loi du 24 août 2021 sur le droit civil), « il n’est en effet pas incongru que certains symboles du droit civil et que des mécanismes de cette matière soient mobilisés afin de conforter le respect des principes de la République, dès lors que pour reprendre la formule de Carbonnier, ce qui se trouve au cœur du droit civil est la civilité, c’est-à-dire le “vivre ensemble” ». Il montre que les choix législatifs opérés dans le champ du droit civil, à savoir la promotion de la monogamie et l’interdiction d’exhéréder les filles, portent une incontestable dimension symbolique qui « prend le pas sur l’opportunité pratique et l’exactitude technique ». Aurélien Rissel prolonge cette réflexion en l’élargissant au droit des personnes (La loi du 24 août 2021 et le droit des personnes : un texte pavé de bonnes intentions…). Aux termes de son analyse, il conclut que « quoique d’une très grande variété, les différentes mesures adoptées à l’occasion de la loi du 24 août 2021 en matière de droit des personnes méritent des observations semblables et présentent les mêmes écueils : des mesures en apparence à forte valeur ajoutée symbolique, un droit positif toutefois déjà largement préétabli et suffisant, des mesures conséquemment résiduelles ou ponctuelles qui contrastent avec l’ambition de la loi, et bien souvent, des “angles morts” liés au caractère restreint des mesures, voire des “effets collatéraux” inattendus, le cas échéant sources de difficultés ». Anne Fornerod s’interroge sur les conséquences d’« une marginalisation de l’instruction en famille et [d’]un durcissement du régime des établissements privés hors contrat » (Le droit à l’instruction dans la loi confortant le respect des principes de la République : hors de l’École républicaine, point de salut ?). Sa réflexion la pousse à conclure qu’« aujourd’hui, dans son ambition – au demeurant légitime – de lutter contre les séparatismes et de prévenir la radicalisation religieuse chez les jeunes citoyens, la loi du 24 août 2021 s’est privée de la liberté de l’enseignement… ». Julie Alix analyse la mobilisation des outils répressifs « sans réflexion préalable sur leurs fonctions ou leur essence », ce qui « place la loi au rang de ces lois discursives, où l’efficacité symbolique est préférée à une efficacité réelle délaissée – lorsqu’elle n’est pas impossible » (La répression convoquée au soutien des principes de la République). L’autrice procède à un examen critique de cette loi punitive et s’interroge : « une telle répression est-elle conforme aux “principes de la République” ? ».

Enfin, Serge Slama explore les dispositions de la loi concernant le droit des étrangers (Le droit des étrangers : réacteur ou incubateur de la loi « séparatisme » ?). Ce domaine est finalement peu présent dans la loi, sans doute par choix de « ne pas rouvrir la boîte de Pandore d’un débat général sur l’immigration à quelques mois des élections présidentielles ». Néanmoins, à partir de quelques dispositions qui ne font « que conforter des clauses déjà existantes », il montre que le droit des étrangers a pu servir de « laboratoire » ou « d’incubateur » de cette loi.

Au total, il pourra sembler au lecteur que ce dossier a été constitué essentiellement à charge tant les critiques sont nombreuses. Pouvait-il en être autrement s’agissant d’un texte touffu, complexe, parfois illisible qui est le résultat de compromis, d’arbitrages et, surtout peut-être, d’une réaction émotionnelle au lendemain d’atrocités commises au nom de l’islam dans notre pays ? Rien de plus naturel non plus que cette analyse sévère, sous la plume d’universitaires attachés, chacun dans son domaine, à la préservation de libertés souvent chèrement acquises et aussi peu partagées dans le monde.

L’ouverture de la revue se manifeste aussi dans les varia qui portent notamment dans ce numéro sur le pluralisme religieux dans certains États africains (Christian Gérard Angue) ou encore sur la relation entre minorités religieuses et droits LGBT dans le droit international et européen (Daniele Ferrari).

Revue du droit des religions

 

Françoise Curtit, Vincente Fortier, Droit, religion, entreprise et société (DRES, UMR7354, CNRS / Université de Strasbourg), Gérard Gonzalez, Université de Montpellier