Le Mouvement social

« Écrire autrement ? L'histoire sociale en quête de publics », n° 269-270, 2019-2020

Le Mouvement social est une revue trimestrielle d’histoire contemporaine qui fête aujourd’hui ses soixante ans. Fondée par Jean Maitron1 , elle était d’abord dédiée à l’histoire ouvrière, aux mouvements sociaux et aux organisations professionnelles. Elle s’est progressivement élargie à toutes les dimensions de l’histoire sociale contemporaine : travail et économie, représentations, genre, migrations, environnement, histoire sociale du politique et de l’État, etc. Elle est pluraliste, interdisciplinaire et couvre toutes les aires géographiques.

En contribuant aux transformations de l’histoire sociale, la revue s’est aussi faite, parfois, observatrice et analyste de ces mutations. En 1977, son centième numéro revenait sur les évolutions internationales de l’histoire ouvrière et syndicale2 . En 2002, le n°200, consacré à « l’histoire sociale en mouvement », prenait acte des « cheminements » qui avaient transformé le champ au fil des années 1990 et 2000, avec une ouverture plus assumée sur les temps présents et les objets urbains, environnementaux et culturels, désormais incontournables3 .

Aujourd’hui, c’est le foisonnement d’expérimentations relevant d’écritures alternatives qui nous a interpellés4 . Pourquoi les historiens recourent-ils de plus en plus aux articles courts et de médiation, aux blogs, à la BD, au roman, au théâtre, aux balades urbaines, au film documentaire… pour transmettre leurs résultats ? Cette évolution concerne l’ensemble des sciences sociales, mais elle est aussi liée au renouvellement des débats sur le rôle social et politique de l’histoire, et à la concurrence de publications à succès qui travestissent le passé. Elle touche également aux frontières de nos disciplines : jusqu’où peut-on aller dans le travail de transmission ? Comment l’ajouter à nos emplois du temps déjà très chargés de recherche, d’activités pédagogiques et administratives ? Elle ne peut pas, enfin, être dissociée des injonctions, dans les processus d’évaluations individuelles et collectives, à la « dissémination » ou à la valorisation des résultats de recherche. Elle nous a donc semblé mériter d’être prise à bras-le-corps pour articuler ces questionnements, mettre en perspective les différents travaux, réfléchir à leurs démarches, aux succès mais aussi aux obstacles rencontrés.

Nous l’avons articulée en quatre axes.

  • « Incursions littéraires » questionne les possibilités offertes par la bande dessinée (article de Sylvain Lesage), le théâtre (Odile Macchi) et le roman (Sylvain Pattieu). Ces terrains peuvent sembler familiers. Ils font en fait l’objet de nouvelles appropriations : les universitaires, habitués au rôle de « conseillers historiques », se font désormais eux-mêmes scénaristes de bandes dessinée, dramaturges ou écrivains.
  • En termes d’ « explorations audiovisuelles », la contribution de Marion Fontaine permet d’observer le même mécanisme concernant le documentaire historique, tandis qu’Isabelle Backouche et Sarah Gensburger invitent à faire de l’histoire « à ciel ouvert », par la balade urbaine. Cette section aborde frontalement les difficultés (techniques, financières, administratives…) auxquelles le chercheur doit faire face.
  • Les « expérimentations numériques » montrent tout le potentiel de ce territoire plus nouveau. En abordant la question du blogging, Malika Rahal permet non seulement de saisir son intérêt pour l’histoire du temps présent, mais pointe aussi d’autres obstacles — en termes de reconnaissance par les pairs notamment. Les revues nativement numériques, qui visent un public élargi, rencontrent-elles aussi un succès croissant, comme en témoigne l’entretien croisé mené avec Nicolas Delalande (La Vie des Idées) Emmanuel Bellanger et Charlotte Vorms (Métropolitiques) et Sébastien Poublanc (Mondes sociaux). Ces trois diffusions en libre accès montrent qu’il est possible d’atteindre un public bien plus large que celui des revues « traditionnelles » sans renoncer aux exigences de scientificité.
  • Enfin, « Innovations académiques ? » interroge le réinvestissement de terrains plus anciens, autour de la mémoire de la Première Guerre mondiale et de l’écriture d’ « histoires populaires ». Antoine Prost analyse comment, sur le terrain ô combien balisé de la Grande Guerre, le centenaire a vu se multiplier les acteurs et les supports d’écriture de la mémoire collective du conflit. Émilien Ruiz interroge quant à lui l’engouement récent pour « l’histoire populaire » en le resituant dans la longue durée, ce qui lui permet de montrer non seulement les ruptures et continuités d’une écriture du social qui s’adresse à un public large, mais aussi les motivations des auteurs — entre réponse aux « historiens de garde », inspiration « zinnienne » et marketing éditorial.

Pour coller à notre objet, ce numéro est largement illustré, et en couleur. Nous l’avons aussi doté d’un cahier de comptes rendus qui comporte, outre des ouvrages académiques portant sur les thématiques du numéro, des recensions de romans, films et BD parus aux xxe et xxie siècles. Nous les avons progressivement mis en ligne sur Le carnet du Mouvement social (le blog Hypothèses de notre revue), à compter de la signature du bon à tirer (BAT), pour annoncer la parution du numéro. Et chaque jour, un article et une recension sont présentés sur notre compte Twitter.

Depuis longtemps « en quête de publics » nombreux et diversifiés, Le Mouvement social est aussi attaché à une diffusion multiple, sur supports papier (publié par les Éditions Ouvrières/ Éditions de l’Atelier jusqu’en 2007 et, depuis, par La Découverte) et numériques. Les anciens numéros sont consultables sur Gallica (en libre accès) et Jstor (sous abonnement), les dernières livraisons sur Cairn (avec une barrière mobile de deux années) et Muse (sous abonnement). Les comptes rendus sont également librement accessibles sur notre blog Hypothèses. Enfin, chaque année, une sélection de nos articles est traduite en anglais et accessible via le portail international de Cairn5 .

Le Mouvement social

 

Axelle Brodiez-Dolino et Émilien Ruiz

  • 1Également initiateur du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français : https://maitron.fr/
  • 2« Numéro Cent », Le Mouvement social, n°100, juillet-septembre 1977. Accessible sur Gallica (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5621071c) et JStor (https://www.jstor.org/stable/i291679)
  • 3Patrick Fridenson (dir.), « L’histoire sociale en mouvement », Le Mouvement social, n° 200, juillet-septembre 2002. Accessible sur JStor (https://www.jstor.org/stable/i291779) et Cairn (https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2002-3.htm)
  • 4Brodiez-Dolino A. et Ruiz É. (dir.) 2019-2020, « Écrire autrement ? L'histoire sociale en quête de publics », Le Mouvement social, n°269-270. Accessible sur Cairn (https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2019-4.htm) et Muse (https://muse.jhu.edu/issue/42466)
  • 5Au moment où nous écrivons, quarante-deux articles de la revue sont accessibles via ce portail : https://www.cairn-int.info/journal-le-mouvement-social.htm.