PrésHuMer : à l’écoute de l’anthropique sous-marin

Lettre de l'InSHS Anthropologie

Zoom sur…

Directeur de recherche CNRS au Centre Norbert Elias (CNE, UMR8562, CNRS / EHESS / AMU / Avignon Université), Boris Pétric conduit des recherches sur le rapport entre espaces, pouvoirs et ressources dans un contexte contemporain. Il travaille actuellement sur le monde du vin et s’intéresse à la domestication des espaces naturels. Il copilote le projet interdisciplinaire PrésHuMer relatif à l’impact humain sur le milieu marin. Lauréat du programme 80|Prime du CNRS, ce projet associe le CNE et l’Observatoire des Sciences de l’Univers Institut Pythéas avec un de ses laboratoires : l’Institut Méditerranéen d'Océanologie (MIO, UMR7294, CNRS / AMU / IRD / Université de Toulon).

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La protection d'un parc national permet d'approcher les habitants du monde sous-marin : Sandrine Ruitton, chercheuse au MIO, avec un mérou @ Delphine Thibault

Quelle peut être la perception sociale de l’impact humain sur le milieu marin ? Quelle représentation peut-on en faire ? C’est autour de ces questions que deux équipes de chercheurs, chercheuses et ingénieur(e)s se sont rencontrées. D’un côté, des anthropologues cinéastes souhaitaient élargir au milieu marin leurs réflexions sur l’anthropocène ; de l’autre, des océanographes et écologues voulaient aborder leur expertise des pollutions marine par une approche sensorielle, et ouvrir leur pratique à de nouvelles formes de représentations visuelles et sonores des phénomènes qu’ils observent.

Le projet interdisciplinaire PrésHuMer, qui rassemble ces différents chercheurs autour de la question de la perception et de la mesure de la présence humaine dans le monde sous-marin, va faire l’objet d’une enquête expérimentale sur le littoral marseillais. À la croisée des sciences sociales et des sciences environnementales, et par le biais d’écritures expérimentales audiovisuelles, il vise à agir sur la représentation sociétale de la présence anthropique sur le milieu maritime.

À l’écoute du littoral marseillais

La métropole de Marseille et son pourtour littoral sont un excellent terrain pour aborder et illustrer les questions relatives à l’impact des activités humaines sur le milieu marin. La ville, adossée à un grand port, est fortement urbanisée, dotée d’une activité industrielle, économique et touristique importante ; les nuisances sur la mer et les interactions y sont multiples. Deux sites seront plus particulièrement explorés : le Parc national des Calanques et l'étang de Berre.

Un projet interdisciplinaire

Ce projet interdisciplinaire repose donc sur la collaboration entre une équipe d’océanographes ayant une très bonne connaissance de l’impact anthropique sur le milieu marin, notamment dans la zone de Marseille, et une équipe d'anthropologues ayant acquis une expérience singulière sur la manière de représenter les interactions entre humains et non humains en s’appuyant sur des outils audio-visuels.

Une question initiale

PrésHuMer partira d’un postulat selon lequel la mer n’est pas seulement un espace sauvage mais un espace social où l’humain interagit avec d’autres espèces vivantes. Que peut-on percevoir de la présence humaine sous la mer ? Derrière cette question initiale, trois grands axes de réflexion constituent les bases du projet.

Comment mesurer l’impact de l’activité humaine sur les écosystèmes sous-marins ? Quelles sont les nuisances anthropiques et leur impact : rejets solides/liquides, bruits, espèces introduites, modification des paysages. Comment les mesurer : couleur de l’eau (turbidité, densité de l’eau, présence organismes photosynthétiques, éléments/molécules/particules), débit ? Quelles sont les mesures quantitatives (comptage, abondance/concentration, diversité) ?

Comment mesurer et/ou imaginer la perception des activités humaines par les habitants des écosystèmes sous-marins ? Comment rendre visibles/perceptibles les nuisances par des captations sonores, gammes de perception différentes entre les différents organismes, perceptions multi-sense (non seulement auditives mais aussi corporelles en fonction de la taille des organismes évoluant dans un milieu visqueux), ondes dynamiques des phénomènes (distances entre l'activité et ses répercussions, son circulant plus vite sous l’eau).

Comment rendre visibles aux publics ces deux premiers axes de réflexion en s’appuyant sur des dispositifs sensoriels ?  Il s’agira notamment d’imaginer des dispositifs immersifs permettant de faire ressentir aux publics les nuisances provoquées par les activités humaines. Plus prosaïquement : comment mettre l’humain dans la peau d’un habitant sous-marin ?

Chacun de ces axes fera l’objet de développements à part entière et de regards croisés permettant, par exemple, de mettre en regard une mesure scientifique et un « ressenti ».

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Une epèce envahissante : Sandrine Ruitton, chercheuse au MIO, avec une algue. Le suivi photographique permet d'appréhender l'impact des activités humaines @ Delphine Thibault

Restituer les paysages sonores et visuels des fonds marins

Le projet exploratoire reposera avant tout sur des captations vidéos et sonores dans un certain nombre de sites identifiés par les chercheurs impliqués dans le projet. Ensemble, ils développeront un dispositif immersif permettant de visualiser et capter les sons, en écoutant du bas vers le haut les différents flux et traces anthropiques et tentant de restituer les perturbations que les activités humaines peuvent générer sur les habitats sous-marins et leurs communautés.

Le dispositif rendra ainsi perceptible :

  • des flux éphémères comme les bateaux qui passent (scooter, paquebots, navettes, bateaux, voilier, planche à voile, paddle, etc) ;
  • des écoulements permanents ou réguliers (eaux usées, déversement effluents urbains/industriels) ; 
  • des ajouts/intrants et traces permanentes dans les paysages sous-marins (tuyaux, câbles, véhicules, bouteilles, pneus, épaves de bateau, etc.).

Le milieu sous-marin sera ainsi considéré comme un paysage social où interagissent communauté humaines et communautés marines et ce dans un contexte où le milieu sous-marin reste largement représenté comme un monde exotique, étranger à l’humain.

À l’heure où les enjeux écologiques sont des questions majeures, les résultats de ce projet visent à rendre visible l’invisible, audible l’inaudible, tout en  participant à ces réflexions sociétales. Les travaux pourront être utilisés dans la conception de dispositifs sensoriels immersifs mobilisés dans des politiques et actions de sensibilisation auprès de la société civile.

Contact

Boris Pétric
Directeur de recherche CNRS, Centre Norbert Elias