Comment sommes-nous retournés à la plage après le confinement du printemps 2020 ?

Résultats scientifiques Sciences des territoires

Le printemps 2020 a été un moment d’interrogation quant au retour à la normale après le premier acte de la Covid-19. Dans un article paru dans la revue Développement durable et territoires, une équipe de recherche rend compte, à partir d’une enquête de terrain inédite, des effets de la pandémie sur les pratiques et la gestion de ce retour à la plage à Barcelone, Valence, Marseille et Nice. Entre appréhension du risque, désir de sociabilité, inégale présence des autorités, l’étude révèle une nette distinction entre les situations en Espagne et en France, en lien avec l’inégale violence du choc de la pandémie dans ces deux pays.

À la veille de l’été 2020, l’Europe occidentale ressort ébranlée par le confinement lié à la Covid-19. La question du retour à une vie normale se pose dans de nombreux domaines, en particulier la possibilité de pratiquer des loisirs de plein air et de se rendre en vacances. La période estivale approchant, la question du retour sur les plages se pose avec acuité : l’accès aux aménités naturelles est plébiscité, mais dans le même temps les plages sont des lieux potentiels de contamination car elles rassemblent un grand nombre d’usagers. En prenant pour cas d’étude quatre grandes villes méditerranéennes (Barcelone et Valence en Espagne, Marseille et Nice en France), une enquête de terrain inédite, élaborée sur le vif, a permis de saisir ce moment de l’histoire récente et de caractériser la manière dont les populations ont appréhendé le risque sanitaire, perçu sa gestion par les autorités, et renoué avec leurs pratiques de loisirs balnéaires.

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Figure 1 : Origine des usagers de passage enquêtés sur les plages des quatre villes étudiées

Menée par une équipe scientifique du laboratoire Études des structures, des processus d'adaptation et des changements de l'espace (Espace, UMR7300, CNRS / AMU / Avignon Université / Université Côte d’Azur)1 , l’enquête a reposé sur un questionnaire passé en juillet 2020 à 330 personnes présentes sur les plages, permettant de caractériser :

  • leur rapport à la plage, lieu de l’enquête ;
  • leurs activités et pratiques sur la plage ;
  • leur perception du lieu ;
  • leur perception de la Covid-19 et des risques en général ;
  • des éléments de profil sociodémographique.

Un comptage d’usagers a également été réalisé à Marseille, sur une plage dont les chiffres de fréquentation d’avant Covid sont connus. Enfin, un corpus de presse a été constitué afin de contextualiser la situation sanitaire dans les deux pays et dans les quatre villes, sur la période allant du 15 avril au 31 juillet 2020.

Les résultats indiquent que la fréquentation des plages a été principalement locale, surtout en Espagne. Ainsi, on a relevé une très faible proportion de touristes et une très forte proportion d’usagers déclarant venir souvent sur la plage enquêtée à Barcelone. À l’opposé, Nice a réussi à attirer des vacanciers, même si leur recrutement a été principalement national (Figure 1). Dans les quatre villes, les usagers ont déclaré ne pas avoir ou avoir peu modifié leurs pratiques de plage en lien avec la Covid-19 (Figure 2). Seule la distanciation physique a été mise en avant comme mesure d’adaptation. Ceci peut s’expliquer par le fait que le risque de contamination sur la plage a majoritairement été perçu comme similaire voire inférieur au risque existant dans d’autres lieux. Sur ce plan, les résultats distinguent les villes françaises des villes espagnoles : les personnes enquêtées y ont en effet été plus nombreuses à penser que le risque était moindre. En lien avec cela, les répondants de Marseille et Nice ont aussi été relativement beaucoup moins nombreux à ressentir que le niveau de la fréquentation au moment de l’enquête était « gênant » (moins de 5 % des répondants), alors qu’ils étaient entre 19 et 25 % à ressentir cela à Barcelone et Valence. Concernant la gestion de la crise par les autorités, les réponses n’ont pas traduit une confiance élevée dans la capacité des autorités à faire face. Toutefois, à Nice et Valence, les répondants ont accordé un plus grand crédit aux pouvoirs publics (surtout les institutions locales) qu’à Barcelone et Marseille.

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Figure 2 : Niveau de modification des pratiques de la plage en rapport avec la COVID-19 en % du nombre d’enquêtés (échelle de 1 « pas du tout » à 4 « beaucoup »)

La tentative d’évaluation de l’impact de la crise sur les effectifs d’usagers présents sur la plage enquêtée à Marseille s’est révélée partiellement infructueuse, car le jour d’enquête la possibilité de se baigner a été contrariée par un vent fort et un drapeau orange, hissé à 11h. Cependant, sur la base des chiffres produits jusqu’à 11 heures du matin, l’hypothèse d’une fréquentation inchangée peut être avancée, car les effectifs d’usagers sont très proches de ceux connus pour une date similaire avant Covid-19. Ceci concourt donc à laisser penser que la crise sanitaire n’a pas fortement dissuadé les usagers de venir à plage, en particulier en France.

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Figure 3 : Nombre d'articles parus par quinzaine entre le 15 avril et le 31 juillet 2020 au niveau local (période de l’enquête entourée de tirets rouges)

Au final, l’étude de la presse apporte un éclairage contextuel et explique partiellement les différences relevées sur le terrain entre l’Espagne et la France. À cette l’époque, la pandémie a plus durement frappé l’Espagne, ce que traduit le nombre d’articles de presse (Figure 3). Les autorités se sont donc montrées plus présentes et les usagers ont été plus vigilants sur leurs pratiques de plage. Pour autant, dans les deux pays, si la conscience du risque était bien présente, elle n’a pas empêché la reprise de la sociabilité, et les plages ont de nouveau été le cadre de rencontres amicales, festives et récréatives.

  • 1Samuel Robert, directeur de recherche CNRS, Espace ; Brieuc Cabioch, doctorant, Espace ; Marie-Laure-Trémélo, ingénieure d’étude CNRS, Espace ;  Nelly Parès, maître de conférences en sociologie, MNHN, Espace / Centre d'Écologie et des Sciences de la Conservation (CESCO, UMR7204, CNRS / MNHN / Sorbonne Université) ; Éric Carroll, ingénieur de recherche CNRS, Espace ; Alexandra Schleyer-Lindenmann, maître de conférences en psychologie, AMU, Espace.

Référence

Contact

Samuel Robert
Directeur de recherche CNRS, Études des structures, des processus d'adaptation et des changements de l'espace (Espace)