Travailleures agricoles et habitantes exposées aux pesticides, sites de production ou de stockage dont les activités ordinaires contaminent les riveraines, accidents et catastrophes industrielles etc., la plupart des contaminations environnementales prennent leur source sur des lieux de travail. Les expositions professionnelles aux toxiques sont donc au cœur des enjeux de santé-environnement et les cancers liés au travail jouent le rôle de sentinelles de la santé environnementale.
Ancrés en Seine-Saint-Denis (depuis 2002) et dans le Vaucluse (depuis 2017), deux Groupements d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle mettent en œuvre une démarche de recherche interventionnelle originale. Celle-ci vise à produire, à partir de cohortes de patients atteints de cancers pris en charge dans différents services hospitaliers (APHP et CH Avignon), des connaissances sur les activités de travail exposant aux cancérogènes, leur traçabilité, les obstacles et/ou résistances à leur reconnaissance. Cette recherche pour l’action à la croisée des sciences humaines et sociales, d’une part, de la clinique, de l’épidémiologie et des sciences biologiques et physico-chimiques, d’autre part, vise à briser l’invisibilité des cancers dus au travail, à favoriser leur prévention et à nourrir des actions de formation.
L’enquête GISCOP part de la description fine des activités de travail réelles exercées par les patientes atteintes de cancer lors d’un entretien de reconstitution de leur parcours professionnel. Ces parcours sont analysés par le Collectif pluridisciplinaire d’expertise des conditions de travail et des expositions toxiques, qui identifie et caractérise, à chaque poste de travail, les expositions aux cancérogènes (classements CIRC & UE). Les patientes considérées comme éligibles sont orientées vers une démarche de déclaration de maladie professionnelle et celles et ceux qui souhaitent s’y engager sont accompagné·e·s dans les procédures, souvent longues et compliquées.
La prégnance des enjeux de santé environnementale conduit les deux GISCOP à élargir leurs actions. Tandis que le GISCOP 93 devient une structure régionale dont les résultats de recherche et les actions nourrissent des travaux et des programmes d’envergure nationale – notamment en matière de prévention, le GISCOP 84 se structure progressivement en pôle de recherche interdisciplinaire sur les questions de santé-travail-environnement en basse vallée du Rhône – en lien avec des médecins hospitaliers, des chercheurs en toxicologie, épidémiologie et biologie. Ces évolutions s’inscrivent dans une logique de décloisonnement des frontières – socialement construites – de la santé-travail et de la santé environnementale.
Par ailleurs, les deux GISCOP sont régulièrement sollicités par des acteurs variés (chercheurs, médecins, collectifs de travailleurs) intéressés par la mise en place d’une démarche similaire. Or, si la démarche d’enquête est désormais stabilisée et que les outils transférables existent, aucun des deux GISCOP ne dispose à ce jour des ressources nécessaires pour proposer un réel appui à des porteurs de projets qui souhaitent s’engager dans la création de dispositifs du même type.
Dans ce contexte, la création d’une structure commune aux deux GISCOP, préfigurant la constitution d’un réseau national de recherche interventionnelle offre un début de réponse aux enjeux sanitaires et sociaux colossaux que soulèvent les questions de santé-travail-environnement en poursuivant un triple objectif :
- de donner un cadre scientifique commun aux recherches menées par les deux équipes (analyse comparée des données collectées, valorisation des résultats communs, construction de nouveaux axes de recherche) et de servir d’espace d’échanges avec des chercheur·e·s et structures de recherche nationaux et internationaux ;
- d’augmenter la visibilité de la démarche GISCOP auprès des acteurs du champ et servir de cadre de dialogue avec les institutions nationales sur les plans de la recherche, de la formation et, plus largement, des politiques publiques ;
- de proposer un accompagnement de porteurs de projets à la création d’autres GISCOP, via la formation et la mise à disposition des outils de l’enquête permanente : montage de projet, de reconstitution des parcours professionnels, d’expertise collective, base de données GISCOP sécurisée et accessible à distance, etc.
Porteurs : Sylvain Bertschy CNRS, Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux Sciences sociales, Politique, Santé (IRIS) , Moritz Hunsmann, CNRS, Centre Norbert Elias ; Anne Marchand, Université Sorbonne Paris Nord, Centre d’histoire sociale des Mondes Contemporains (CHS) ; Zoé Rollin, Université Paris Cité, Centre de recherche sur les liens sociaux (CERLIS), Judith Wolf, EHESS, Centre Norbert Elias