La déclassification d’archives régaliennes relatives aux essais nucléaires en Polynésie permet d’aborder une nouvelle phase de la recherche socio-historique sur ces essais. CNRS Sciences humaines & sociales a mis en place un dispositif d’enquête piloté sur le plan scientifique par Renaud Meltz, historien, qui était déjà impliqué dans un programme de recherche sur l’histoire du Centre d’Expérimentation du Pacifique (« Histoire et mémoires du CEP », 2018-2021), marqué par la publication d’un ouvrage pluridisciplinaire (Des bombes en Polynésie. Les essais nucléaires français dans le Pacifique, Vendémiaire, 2022). Ce dispositif s’inscrit dans un projet de plus grande ampleur coordonné avec l’Institut des sciences de l’univers, l’Institut écologie et environnement et l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules, sur les bouleversements des sociétés et des écosystèmes induits par les changements globaux ou certains événements. Ce dispositif d’enquête se concentre sur les héritages des essais nucléaires menés à Moruroa et Fangataufa de 1966 à 1996, qu’ils soient sanitaires ou socio-culturels. La Maison des Sciences de l'Homme du Pacifique (MSH-P, UAR2503, CNRS / Université de la Polynésie française) accueille ce dispositif.
Une socio-histoire de la santé des Polynésiens et des vétérans du CEP
Il s’agit de reconstituer, à partir d’archives régaliennes déclassifiées, des archives vivantes du département de suivi des centres d’expérimentations nucléaires et de témoignages des vétérans et riverains des essais, le système institué pour prendre en compte la dimension sanitaire des tirs par les autorités militaires et civiles depuis l’état des lieux sanitaire dressé en amont des premiers tirs jusqu’à la mise en œuvre des essais et le suivi de leurs conséquences. Comment ce système a-t-il pris en compte les effets sanitaires et environnementaux depuis la politique de prévention et d’information sur les risques jusqu’au soin, en passant par la mesure des expositions aux retombées ? Le projet considère également la médecine militaire ordinaire pour les riverains des sites d’essais à partir de la base avancée de Hao et ses héritages dans la carte d’accès aux soins aujourd’hui en Polynésie.
L’étude considère en trois lieux la façon dont les politiques de santé se sont déployées et se sont confrontées aux facteurs sociaux d’exposition aux radiations : un bâtiment de la marine hébergeant des opérateurs européens et polynésiens pendant les essais ; un atoll habité, proche de Moruroa ; un district de l’archipel de la Société. L’enquête aura une dimension à la fois prosopographique et biographique, en proposant des récits de vie de vétérans choisis en fonction de leur diversité de profils et d’expériences liées au CEP.
Cette socio-histoire de la santé élargit le spectre des héritages des essais par-delà les retombées radioactives, à savoir les modifications de mode de vie, d’alimentation et de rapport à l’environnement, et considère le système de santé polynésien après la fermeture du CEP qui le fait passer d’un régime étatique et militaire à une organisation civile et territoriale, dans le cadre du statut d’autonomie du territoire, face à ces autres défis sanitaires indirectement induits par le CEP.
Les impacts socio-culturels de la Polynésie nucléarisée
Il s’agit de documenter les impacts socio-culturels du CEP avec ses enjeux linguistique, géographiques, socio-économiques. Ce projet mobilisera des doctorants et/ou post-doctorants pour documenter ces héritages du CEP à deux échelles. Une socio-histoire des migrations générées par le CEP à l’échelle de la Polynésie française (PF) ambitionne d’établir une base de données des flux inter-îles depuis le début du chantier du CEP (1963) qui permette de dresser une typologie des migrations de travail dans toutes leurs dimensions :
- historique : première entrée dans le salariat ou antérieure avec l’exploitation du phosphate ou autre),
- économique : type et durée du contrat de travail, compétences
- géographique : migrations pendulaires, définitives, sauts d’île à échelle de la PF voire du Pacifique avec la Nouvelle-Calédonie, ou hexagone, voire Europe (travailleurs Portugais).
On ciblera ainsi des terrains pertinents dans l’agglomération de Papeete et un ou plusieurs terrains de départ (Australes, Marquises ?) en vue d’une deuxième étude, qualitative, à l’échelle d’un quartier.
Enfin, nous postulons que les impacts socio-culturels du CEP se comprendront mieux dans un cadre élargi pour considérer les circulations (de choses, de personnes, d’idées) et permettre une approche comparative entre les différents sites d’essais depuis le choix du site polynésien, qui s’est fait dans un Pacifique déjà nucléarisé, jusqu’aux processus de reconnaissance et d’indemnisation des victimes des essais. Le SOSI ambitionne à terme une étude comparative des héritages du CEP à la lumière des essais états-uniens et anglais dans le Pacifique, du choix du site aux indemnisations des victimes.
Porteur : Renaud Meltz, université de Haute-Alsace, Centre de recherches sur les économies, les sociétés, les arts et les techniques (CRESAT), Maison des Sciences de l'Homme du Pacifique