Coordinatrices : Karima Guenfoud (USPN, IRIS), Anne Marchand (USPN, IRIS) et Zoé Rollin (UPC, Cerlis)
Cet observatoire s’inscrit dans la suite des travaux menés depuis 20 ans par le Giscop93 (Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle en Seine-Saint-Denis) pour rendre visible la responsabilité de l’activité productive dans l’épidémie de cancer, sur un territoire marqué tout à la fois par une histoire industrielle particulièrement dense et de très fortes inégalités sociales.
Si 11% des salariés sont en moyenne exposés aujourd’hui à des dangers cancérogènes dans leur activité habituelle de travail, cette proportion varie selon l’âge, le genre, selon les processus de racisation, le statut d’emploi, la catégorie socioprofessionnelle et le secteur d’activité : les jeunes travailleurs (notamment les apprentis), les intérimaires et les ouvriers sont ainsi particulièrement concernés. Par ailleurs, loin d’être contenues au sein des structures productives, ces expositions professionnelles débordent souvent au-delà pour contaminer également les riverains et l’environnement, notamment le vivant non humain. Elles se transportent aussi au domicile et dans les familles par les vêtements et par les corps. Enfin, la désindustrialisation et les transformations urbaines masquent des héritages toxiques inégalement répartis sur le territoire.
Cet observatoire a vocation à réaliser et fédérer des recherches sur la responsabilité du travail dans la production des inégalités sociales de santé, en s’inscrivant dans le champ des travaux sur la construction de l’ignorance, sur les injustices environnementales et la green criminology. Il est ancré en Seine-Saint-Denis, territoire emblématique de nombreuses initiatives citoyennes et scientifiques destinées à combler les angles morts de la connaissance en matière d’injustices environnementales. Il répond à une forte demande sociale, amplifiée par le contexte écologique. À des fins de comparaison et de montée en généralité, il a aussi pour but de mettre en dialogue les investigations et les résultats construits sur ce territoire avec ceux construits ailleurs, à l’échelle nationale et internationale.
Ces recherches s’appuient sur des dynamiques de science participative, en co-construction avec de nombreux acteurs de terrain (syndicats, établissements, associations…) et permettent de s’inscrire dans une collaboration durable avec l’USPN, fortement investie sur ce projet.
Trois premiers axes de travail sont envisagés pour construire et alimenter cet observatoire :
- Valoriser les données produites par le Giscop93 dans une perspective de science ouverte
Sur plus d’une vingtaine d’années, le Giscop 93 a produit et collecté une diversité de données (reconstitution de parcours professionnels, données de santé, parcours d’exposition aux cancérogènes, parcours d’accès au droit de la réparation, archives sur des mobilisations citoyennes face à des pollutions industrielles, etc). Dans la perspective de conserver et de valoriser ces différentes données, il s’agit tout à la fois d’explorer les modalités pour les rendre accessibles aux chercheur.es et aux citoyen.nes et de construire des outils et supports de restitution des études et recherches qui se sont déroulées au sein du Giscop93.
- Les débordements industriels comme forme d’injustices environnementales
Dans une perspective de documentation des injustices environnementales, il s’agit d’explorer l’impact de la frontière socialement et juridiquement construite entre santé environnementale et santé au travail sur le répertoire d’action des mobilisations sociales et sur la reconnaissance par les pouvoirs publics de problèmes de santé liés à des toxiques professionnels, dans plusieurs configurations : expositions bâtimentaires à l’amiante, débordements industriels et effets sanitaires sur les riverain.es, etc.
- Les jeunes travailleurs face aux toxiques industriels : une priorité pour la recherche en santé au travail, un angle mort de la santé environnementale ?
Souvent dès leur adolescence, en construction physique et psychique, des jeunes sont confrontés à des risques majeurs, à court terme (accidents du travail) et à long terme (maladies professionnelles, comme les cancers professionnels).
Au terme de quatre ans de recherche menée auprès de jeunes apprentis dans les filières de la beauté et de l’automobile dans des Centres de Formation d’Apprentis en Île-de-France, il s’agit d’élargir la focale d’analyse à l’ensemble de la chaîne de formation des jeunes travailleurs (formation professionnelle en lycée professionnel et apprentissage), du traitement du risque cancérogène dans les politiques publiques, dans la politique des établissements, jusqu’aux positionnement et marges de manœuvre des acteurs et actrices concernés (formateurs et formatrices en établissement, maîtres et maîtresses de stage et d’apprentissage, apprenti·es et stagiaires, famille).