SOSI - Suivi Ouvert des Sociétés et de leurs Interactions
L’InSHS (co-)pilote plus de 200 unités de recherche et près de 300 structures de recherche. Il favorise en outre depuis plusieurs années l’émergence de réseaux de recherche – aux niveaux national et international, regroupant des UMR comme des UR dans des réseaux prospectifs ou thématiques.
En outre, l’InSHS souhaite soutenir de façon prioritaire des études et enquêtes de longue durée sur un certain nombre d’enjeux autant scientifiques que sociaux et qui s’articulent aux priorités scientifiques de l’InSHS. En effet, le besoin de tels formats est nécessaire pour l’étude de certains objets, afin de permettre l’élaboration d’analyses en profondeur et/ou de manière diachronique des dynamiques sociales, économiques, politiques, culturelles, etc., y compris pour éclairer les événements contemporains.
Un tel soutien doit permettre de garantir la continuité de la recherche engagée (évitant ainsi aux communautés passant d’un AAP à un autre de tordre leurs questionnements pour entrer dans le cadre des AAP successifs ou de connaître des interruptions dans le développement de leurs recherches) ; il doit également permettre de structurer des communautés de recherche et d’ingénierie de la recherche durables et stables.
Dans cette optique, l’InSHS développe depuis 2021 des SOSI (Suivi Ouvert des Sociétés et de leurs Interactions). Ils constituent des formes d’accompagnement et de soutien à des études ou enquête de longue durée recherche en sciences humaines et sociales. Dans certains cas, ils peuvent s’inscrire dans un site dédié, le site étant un lieu géographique/institutionnel, délimité dans l’espace, pour les besoins de la recherche, renvoyant systématiquement à des configurations d’acteurs (habitants, collectivités territoriales/locales, associations, professionnels, communauté artistique, etc.). L’enquête débouche sur des résultats scientifiques qui font par ailleurs l’objet d’une réalisation à destination d’un public extra-académique (base de données en accès ouvert, encyclopédie en ligne, etc.)
Un SOSI peut fédérer plusieurs équipes de recherche SHS (et au-delà si la question de recherche le justifie), plusieurs compétences disciplinaires. Il permet notamment de créer des transversalités entre disciplines et centres de recherche sur un objet commun. L’enquête peut reposer sur différents types de sources (archives, données administratives, observations ethnographiques, entretiens, etc.). Le scénario envisagé est celui de la réunion de 3 à 5 équipes autour d’un questionnement de recherche commun, avec une coordination scientifique dédiée. Le format de cette réunion varie : pilotage par une UMR phare, fédération de recherche, plateforme, etc.
Le soutien de l’InSHS peut-être financier ou en termes de ressources humaines, selon le besoin identifié et discuté avec les coordinateurs du SOSI. Ce financement n’exclut pas la réunion d’autres sources de financement par le porteur. La recherche de financements complémentaires est au contraire encouragée, le SOSI pouvant par exemple contribuer à financer un aspect du projet et, par ce biais, assurer la continuité du projet dans sa totalité. Ce soutien et sa reconduction font l’objet d’un arbitrage annuel par l’InSHS au premier trimestre de chaque année. Les SOSI soutenus renvoient aux priorités scientifiques de l’InSHS (disciplinaires, méthodologiques ou thématiques) de l’InSHS ainsi qu’à des domaines de recherche qui constituent les socles majeurs des recherches menées dans les unités qu’il co-pilote (https://www.inshs.cnrs.fr/fr/le-portail-des-recherches-en-sciences-humaines-et-sociales).
Les recherches soutenues sont présentées sur le site de l’InSHS (https://www.inshs.cnrs.fr/fr/sosi-suivi-ouvert-des-societes-et-de-leurs-interactions). L’InSHS est susceptible de se tourner vers les coordinateurs des SOSI pour une contribution à la Lettre de l’InSHS.
Suivi et coordination à l’InSHS : Fabrice Boudjaaba
Observatoire des maladies environnementales et professionnelles dans la vallée de la chimie lyonnaise
Ce projet s’inscrit dans le sillage des enquêtes de santé environnement-travail participatives. Il vise la création d’un observatoire des maladies environnementales et professionnelles dans la région Rhône-Alpes et plus précisément dans le bassin industriel lyonnais, surnommé la Vallée de la chimie lyonnaise. Cette dernière s’étend le long du Rhône sur une quinzaine de communes depuis Lyon jusqu’à la frontière de l’Isère.
Alors qu’il s’agit d’un des territoires industriels les plus importants de France, l’effet de cette activité industrielle sur la santé des riveraines et des salariées des sites de production demeure largement sous-étudié. En effet, il n’existe qu’un seul registre départemental de cancer (pour l’Isère) pour toute la région Rhône-Alpes, et les études répertoriées par Santé Publique France sur les risques sanitaires dans les bassins industriels français n'identifient pour le Sud lyonnais que de rares données sur les niveaux de pollutions atmosphériques. La « vallée de la chimie » cumule pourtant des centaines d’anciens sites pollués et des installations dangereuses et polluantes toujours en activité, dont plusieurs sont classées Seveso. Elle est marquée par plusieurs catastrophes et pollutions industrielles dont la catastrophe de Feyzin en janvier 1966 (explosion de la raffinerie qui fait 18 morts), les pollutions du Rhône (à l’acroléine en 1976, à l’hydroquinone au début des années 1980 et au PCB de manière récurrente des années 1970 aux années 2010) ou encore l’incendie du port Édouard Herriot en 1987.
L’Observatoire aura trois fonctions :
- Faire un état des lieux des savoirs scientifiques existants ainsi que des normes sanitaires et des mobilisations collectives relatives à ces savoirs. Bien que ce territoire ait été le théâtre de plusieurs mobilisations relatives à la santé et l’environnement au cours des années 1970, celles-ci se sont faites nettement plus rares à partir des années 1980.
- Analyser les raisons de la relative non-production de savoirs, de la non-publicisation et de l’absence de prise en charge publique de nombreux problèmes de santé en lien avec les pollutions industrielles.
- Co-produire des données de santé participative en construisant une équipe de recherche pluridisciplinaire (sociologie, science politique, toxicologie, épidémiologie, géographie, histoire).
Porteurs : Gwenola Le Naour, Sciences Po Lyon, Valentin Thomas, Sciences Po Lyon / Institut universitaire européen de Florence ; Triangle (CNRS / ENS Lyon / Sciences Po Lyon / Université Lumière Lyon 2)
Vers un réseau national de recherche pour l’action sur les cancers d’origine professionnelle et environnementale
Travailleures agricoles et habitantes exposées aux pesticides, sites de production ou de stockage dont les activités ordinaires contaminent les riveraines, accidents et catastrophes industrielles etc., la plupart des contaminations environnementales prennent leur source sur des lieux de travail. Les expositions professionnelles aux toxiques sont donc au cœur des enjeux de santé-environnement et les cancers liés au travail jouent le rôle de sentinelles de la santé environnementale.
Ancrés en Seine-Saint-Denis (depuis 2002) et dans le Vaucluse (depuis 2017), deux Groupements d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle mettent en œuvre une démarche de recherche interventionnelle originale. Celle-ci vise à produire, à partir de cohortes de patients atteints de cancers pris en charge dans différents services hospitaliers (APHP et CH Avignon), des connaissances sur les activités de travail exposant aux cancérogènes, leur traçabilité, les obstacles et/ou résistances à leur reconnaissance. Cette recherche pour l’action à la croisée des sciences humaines et sociales, d’une part, de la clinique, de l’épidémiologie et des sciences biologiques et physico-chimiques, d’autre part, vise à briser l’invisibilité des cancers dus au travail, à favoriser leur prévention et à nourrir des actions de formation.
L’enquête GISCOP part de la description fine des activités de travail réelles exercées par les patientes atteintes de cancer lors d’un entretien de reconstitution de leur parcours professionnel. Ces parcours sont analysés par le Collectif pluridisciplinaire d’expertise des conditions de travail et des expositions toxiques, qui identifie et caractérise, à chaque poste de travail, les expositions aux cancérogènes (classements CIRC & UE). Les patientes considérées comme éligibles sont orientées vers une démarche de déclaration de maladie professionnelle et celles et ceux qui souhaitent s’y engager sont accompagné·e·s dans les procédures, souvent longues et compliquées.
La prégnance des enjeux de santé environnementale conduit les deux GISCOP à élargir leurs actions. Tandis que le GISCOP 93 devient une structure régionale dont les résultats de recherche et les actions nourrissent des travaux et des programmes d’envergure nationale – notamment en matière de prévention, le GISCOP 84 se structure progressivement en pôle de recherche interdisciplinaire sur les questions de santé-travail-environnement en basse vallée du Rhône – en lien avec des médecins hospitaliers, des chercheurs en toxicologie, épidémiologie et biologie. Ces évolutions s’inscrivent dans une logique de décloisonnement des frontières – socialement construites – de la santé-travail et de la santé environnementale.
Par ailleurs, les deux GISCOP sont régulièrement sollicités par des acteurs variés (chercheurs, médecins, collectifs de travailleurs) intéressés par la mise en place d’une démarche similaire. Or, si la démarche d’enquête est désormais stabilisée et que les outils transférables existent, aucun des deux GISCOP ne dispose à ce jour des ressources nécessaires pour proposer un réel appui à des porteurs de projets qui souhaitent s’engager dans la création de dispositifs du même type.
Dans ce contexte, la création d’une structure commune aux deux GISCOP, préfigurant la constitution d’un réseau national de recherche interventionnelle offre un début de réponse aux enjeux sanitaires et sociaux colossaux que soulèvent les questions de santé-travail-environnement en poursuivant un triple objectif :
- de donner un cadre scientifique commun aux recherches menées par les deux équipes (analyse comparée des données collectées, valorisation des résultats communs, construction de nouveaux axes de recherche) et de servir d’espace d’échanges avec des chercheur·e·s et structures de recherche nationaux et internationaux ;
- d’augmenter la visibilité de la démarche GISCOP auprès des acteurs du champ et servir de cadre de dialogue avec les institutions nationales sur les plans de la recherche, de la formation et, plus largement, des politiques publiques ;
- de proposer un accompagnement de porteurs de projets à la création d’autres GISCOP, via la formation et la mise à disposition des outils de l’enquête permanente : montage de projet, de reconstitution des parcours professionnels, d’expertise collective, base de données GISCOP sécurisée et accessible à distance, etc.
Porteurs : Sylvain Bertschy, CNRS, Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux Sciences sociales, Politique, Santé (IRIS) , Moritz Hunsmann, CNRS, Centre Norbert Elias ; Anne Marchand, Université Sorbonne Paris Nord, Centre d’histoire sociale des Mondes Contemporains (CHS) ; Zoé Rollin, Université Paris Cité, Centre de recherche sur les liens sociaux (CERLIS), Judith Wolf, EHESS, Centre Norbert Elias
Observatoire des héritages du Centre d’Expérimentation du Pacifique (CEP)
La déclassification d’archives régaliennes relatives aux essais nucléaires en Polynésie permet d’aborder une nouvelle phase de la recherche socio-historique sur ces essais. L’InSHS a mis en place un dispositif d’enquête piloté sur le plan scientifique par Renaud Meltz, historien, qui était déjà impliqué dans un programme de recherche sur l’histoire du Centre d’Expérimentation du Pacifique (« Histoire et mémoires du CEP », 2018-2021), marqué par la publication d’un ouvrage pluridisciplinaire (Des bombes en Polynésie. Les essais nucléaires français dans le Pacifique, Vendémiaire, 2022). Ce dispositif s’inscrit dans un projet de plus grande ampleur coordonné avec l’Institut des sciences de l’univers, l’Institut écologie et environnement et l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules, sur les bouleversements des sociétés et des écosystèmes induits par les changements globaux ou certains événements. Ce dispositif d’enquête se concentre sur les héritages des essais nucléaires menés à Moruroa et Fangataufa de 1966 à 1996, qu’ils soient sanitaires ou socio-culturels. La Maison des Sciences de l'Homme du Pacifique (MSH-P, UAR2503, CNRS / Université de la Polynésie française) accueille ce dispositif.
Une socio-histoire de la santé des Polynésiens et des vétérans du CEP
Il s’agit de reconstituer, à partir d’archives régaliennes déclassifiées, des archives vivantes du département de suivi des centres d’expérimentations nucléaires et de témoignages des vétérans et riverains des essais, le système institué pour prendre en compte la dimension sanitaire des tirs par les autorités militaires et civiles depuis l’état des lieux sanitaire dressé en amont des premiers tirs jusqu’à la mise en œuvre des essais et le suivi de leurs conséquences. Comment ce système a-t-il pris en compte les effets sanitaires et environnementaux depuis la politique de prévention et d’information sur les risques jusqu’au soin, en passant par la mesure des expositions aux retombées ? Le projet considère également la médecine militaire ordinaire pour les riverains des sites d’essais à partir de la base avancée de Hao et ses héritages dans la carte d’accès aux soins aujourd’hui en Polynésie.
L’étude considère en trois lieux la façon dont les politiques de santé se sont déployées et se sont confrontées aux facteurs sociaux d’exposition aux radiations : un bâtiment de la marine hébergeant des opérateurs européens et polynésiens pendant les essais ; un atoll habité, proche de Moruroa ; un district de l’archipel de la Société. L’enquête aura une dimension à la fois prosopographique et biographique, en proposant des récits de vie de vétérans choisis en fonction de leur diversité de profils et d’expériences liées au CEP.
Cette socio-histoire de la santé élargit le spectre des héritages des essais par-delà les retombées radioactives, à savoir les modifications de mode de vie, d’alimentation et de rapport à l’environnement, et considère le système de santé polynésien après la fermeture du CEP qui le fait passer d’un régime étatique et militaire à une organisation civile et territoriale, dans le cadre du statut d’autonomie du territoire, face à ces autres défis sanitaires indirectement induits par le CEP.
Les impacts socio-culturels de la Polynésie nucléarisée
Il s’agit de documenter les impacts socio-culturels du CEP avec ses enjeux linguistique, géographiques, socio-économiques. Ce projet mobilisera des doctorants et/ou post-doctorants pour documenter ces héritages du CEP à deux échelles. Une socio-histoire des migrations générées par le CEP à l’échelle de la Polynésie française (PF) ambitionne d’établir une base de données des flux inter-îles depuis le début du chantier du CEP (1963) qui permette de dresser une typologie des migrations de travail dans toutes leurs dimensions :
- historique : première entrée dans le salariat ou antérieure avec l’exploitation du phosphate ou autre),
- économique : type et durée du contrat de travail, compétences
- géographique : migrations pendulaires, définitives, sauts d’île à échelle de la PF voire du Pacifique avec la Nouvelle-Calédonie, ou hexagone, voire Europe (travailleurs Portugais).
On ciblera ainsi des terrains pertinents dans l’agglomération de Papeete et un ou plusieurs terrains de départ (Australes, Marquises ?) en vue d’une deuxième étude, qualitative, à l’échelle d’un quartier.
Enfin, nous postulons que les impacts socio-culturels du CEP se comprendront mieux dans un cadre élargi pour considérer les circulations (de choses, de personnes, d’idées) et permettre une approche comparative entre les différents sites d’essais depuis le choix du site polynésien, qui s’est fait dans un Pacifique déjà nucléarisé, jusqu’aux processus de reconnaissance et d’indemnisation des victimes des essais. Le SOSI ambitionne à terme une étude comparative des héritages du CEP à la lumière des essais états-uniens et anglais dans le Pacifique, du choix du site aux indemnisations des victimes.
Porteur : Renaud Meltz, université de Haute-Alsace, Centre de recherches sur les économies, les sociétés, les arts et les techniques (CRESAT), Maison des Sciences de l'Homme du Pacifique