Découverte d'un artefact datant de 24 000 ans à Vale da Pedra Furada, Piauí, Brésil

Résultats scientifiques Archéologie

Dirigée par le professeur Eric Boëda, membre de l'unité Archéologies et Sciences de l'Antiquité (ArScAn), la Mission franco-brésilienne de Piauí a mis au jour 2 200 artefacts en pierre datant d’environ 24 000 ans à Vale da Pedra Furada, dans le nord-est du Brésil, un site à ciel ouvert sur la rive gauche de la vallée du Baixão da Pedra Furada. Parmi ces artefacts, l’un d’eux est particulièrement exceptionnel. Il s’agit d’une plaque d’arénite silteuse qui présente des caractéristiques techniques jusqu’alors inconnues dans les sites paléo-américains. Cette nouvelle découverte ajoute des informations précieuses sur une occupation humaine pendant le Dernier Maximum Glaciaire (26 500-19 000 ans), contredisant ainsi la théorie communément admise d'une occupation humaine post-glaciale d’Amérique du Sud.

Le site pléistocène de Vale da Pedra Furada (Piauí, Brésil), fouillé par la Mission franco-brésilienne de Piauí depuis 2011, fait actuellement l’objet de recherches livrant d’importants résultats sur les premières occupations humaines d’Amérique du Sud. Le site est réputé pour contenir des évidences archéologiques d'occupations humaines entre 40 000 et 5 000 ans. En 2016, les archéologues ont fouillé un horizon archéologique contenant 2 200 artefacts lithiques. L'analyse par carbone 14 des charbons associés à ces artefacts et l'analyse OSL (Optically Stimulated Luminescence) des sédiments autour des artefacts ont permis de dater l’horizon archéologique entre 27 600 et 24 000 ans. Tous les artefacts lithiques sont faits sur quartz ou quartzite et présentent des caractéristiques bien connues dans la région. Néanmoins, l'un d'eux se distingue par son caractère exceptionnel. Il s'agit d'une plaque d’arénite silteuse bien cimentée d'une longueur maximale de 21,0 cm sur une largeur maximale de 18,5 cm et d'une épaisseur maximale de 2,9 cm, sur laquelle les artisans ont façonné une structure à forme hexagonale et symétrique dans sa longueur maximale, avec une macro-denticulation faite par de grands enlèvements dans sa périphérie.

L’analyse technico-fonctionnelle des stigmates de taille et l’analyse tracéologique des traces macroscopiques révèlent une conception technique centrée sur la configuration des doubles biseaux et la production, dans la même pièce, d'au moins deux artefacts successifs aux fonctions probablement différentes. Cette pièce présente sans ambiguïté un caractère anthropique et révèle une nouveauté technique pendant l'occupation pléistocène de l'Amérique du Sud.

Un fond technique bien connu

Tout au long de la séquence stratigraphique de Vale da Pedra Furada, il existe quinze horizons archéologiques distincts séparés par des couches sédimentaires stériles. Les artefacts sont principalement des spécimens lithiques, en raison de l'acidité du sol. L'analyse tracéologique réalisée sur un grand nombre d'artefacts atteste de la présence de tranchants avec ou sans retouche qui étaient en contact avec des matières animales et végétales (végétaux ligneux et non ligneux). Les matières premières dominantes utilisées tout au long de la séquence sont le quartz et le quartzite. Une troisième matière première, l’arénite, est largement utilisée dans les niveaux les plus anciens.

Sur le plan technique et morphologique, on peut différencier plusieurs catégories d'outils. Les outils prédominants sont au nombre de trois : le rostre (rupture de la délinéation du tranchant pour extérioriser une partie active linéaire ou micro-denticulée), le bec (rupture de la délinéation du tranchant pour extérioriser une pointe de moins de 6 mm de longueur), et le biseau simple (avec un tranchant pouvant prendre différentes caractéristiques fonctionnelles). La bote à outils, selon la couche concernée, peut également contenir des : denticulés, grattoirs, grattoirs latéraux, perforateurs et outils convergents bifaciaux.

Sur le plan des modes de production, nous en distinguons deux : le débitage et le façonnage. Dans le cas du débitage nous distinguons deux modalités. La première, la plus reconnaissable, mais pas la plus fréquente, excepté pour les niveaux du Pléistocène les plus récents, est la percussion bipolaire. La seconde est l'ouverture d'un plan de frappe pour produire une petite série de deux à trois éclats. Le façonnage est quant à lui présent dans tous les horizons archéologiques, mais peu représenté dans les niveaux les plus anciens.

Nous distinguons un troisième mode de production, très fréquent où interagissent trois principes techniques : la sélection d’un galet possédant certains critères technicofonctionnels du futur outil, suivie d’une phase de débitage consistant en la production du premier enlèvement très spécifique qui ouvrira à la séquence de façonnage, qui permettra de mettre en place les critères fonctionnels restant à installer pour chaque outil recherché. Cet éclat issu de l’ouverture en un lieu précis du galet sera toujours le même et sera le support privilégié d’un grand nombre d’outils sur éclat.

Un artefact exceptionnel

L’artefact rapporté ici a été retrouvé dans l’un des quatre horizons archéologiques identifiés dans l’ensemble sédimentaire C7 (subdivisé lui-même en trois ensembles distincts -α, β et γ). Cet ensemble C7 est lui- même compris entre deux ensembles sédimentaires (C6/C8), sans vestiges culturels. Le sous-ensemble C7γ, d’une profondeur de ~ 2,50 m, présente deux horizons archéologiques appelés C7γ-a et C7γ-b. Le modèle chronologique bayésien construit sur la base des âges 14C, des âges OSL et des informations stratigraphiques place le sous-ensemble C7γ entre 27 600 et 24 000 cal yr BP. L’horizon archéologique qui nous concerne dans cet article est C7γ-a ; fouillé sur 6 m2, il a livré 2 200 artefacts de plus de 1 cm. L’un de ces artefacts (N° 255660) réalisé sur une plaquette d’arénite silteuse présente des caractéristiques morphologiques et techniques exceptionnelles qui le mette en exergue vis-à-vis de tous les assemblages lithiques provenant du site de Vale da Pedra Furada. Cinq étapes de transformations techniques indiquent que cet objet relève de deux projets successifs. Le premier projet est d’obtenir par façonnage, aux dépens d’une plaquette d’arénite silteuse de 2,9 cm, une forme hexagonale (plus grande longueur : 21cm, et plus grande largeur :18,5 cm) avec un double biseau périphérique coupant, opposé à une partie préhensive largement émoussé qui a fait l’objet préalablement d’un façonnage spécifique, lui donnant un aspect d’excroissance, comme un pédoncule. Le second projet est une sorte de dénaturation du premier, une catachrèse (un écart par rapport à la fonction primaire) lui conférant une autre destinée. Cette transformation correspond à un outil de forme bien connue appelé rostre (rupture de la première délinéation denticulée faisant ressortir un nouveau bord linéaire).

Si le caractère intentionnel de cet artefact est incontestable, sa fonction reste énigmatique. Peut-être s’agit-il d’un simple objet d’usage ? Ou, et plus probablement, il pourrait s’agir d’un objet à fonction de signe. Cela expliquerait tout à la fois son unicité parmi la boîte à outils de la couche archéologique à laquelle il appartient, et le fait que l’on ne l’a jamais retrouvé en d’autres couches archéologiques dans d’autres lieux. Là encore, il s’agit d’une découverte exceptionnelle car son âge est de 24 000 ans !

Les données rapportées pour toutes les périodes et régions d'Amérique du Sud ne permettent pas une comparaison directe en terme de fonction et d'utilisation. Les données actuelles montrent que cet artefact est l'un des plus anciens, sinon le plus ancien, issu de production bifaciale en Amérique du Sud.

Lorsqu'on examine les industries holocènes, il serait possible d'évoquer des pelles ou des houes, cependant, ces outils sont généralement réalisés sur des roches dures (basaltes, andésites et dacites) résistantes aux chocs, voire plus rarement sur des roches métamorphiques ou sédimentaires dures. Ces artefacts présentent en général de traces caractéristiques d’usure et d’impact sur la partie directement en contact avec la matière d’œuvre, ce qui n’est absolument pas le cas de l’artefact ici présenté.

Cet artefact confirme bien l'existence d'occupations humaines à 24 000 ans en Amérique du Sud, possédant des botes à outils constituées d’une panoplie variée d’outils qui reflètent une culture matérielle riche et diversifiée, comme toute autre société humaine.

Menée par une équipe pluridisciplinaire et internationale, parmi lesquels des chercheurs du laboratoire Archéologies et Sciences de l'Antiquité (ArScAn, UMR7041, CNRS / Université Paris Nanterre / Université Paris 1 Panthéon Sorbonne / Ministère de la Culture), du Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (LSCE, UMR8212, CNRS / CEA / Université Versailles Saint-Quentin), du Centre de recherche en physique appliquée à l’archéologie - Institut de recherche sur les archéomatériaux (IRAMAT, UMR5060, CNRS / Université Bordeaux Montaigne) et du laboratoire Environnement Dynamique et Territoires de la Montagne (EDYTEM, UMR5204, CNRS / Université Savoie Mont-Blanc), cette recherche a fait l'objet d'un article dans la revue PLoS ONE le 10 mars dernier.

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Référence

Boëda E., Ramos M., Pérez A., Hatté C., Lahaye C., Pino M. et al. 2021, 24.0 kyr cal BP stone artefact from Vale da Pedra Furada, Piaui, Brazil: Techno-functional analysis, PLoS ONE 16(3).

Contact

Eric Boëda
Professeur des universités, Archéologies et Sciences de l'Antiquité (ArScAn)