« Intersections, circulations » : retour sur le 10e congrès de l'Association française de sociologie
#À PROPOS
Le 10e Congrès de l’Association française de sociologie (AFS) s'est tenu du 4 au 7 juillet 2023 à l’université Lumière Lyon 2. Organisé par l'AFS et le Centre Max Weber (CMW, UMR5283, CNRS / ENS Lyon / Université Lumière Lyon 2 / Université Jean Monnet), il a rassemblé plus de 1 700 sociologues. Si cette édition, qui faisait suite à un congrès en ligne, a témoigné de l'importance des événements en présentiel, ce succès doit également au thème général du congrès : « Intersections, circulations ».
Centrer le congrès sur ces thématiques importantes et émergentes en France a permis d'étudier finement les flux de personnes, de marchandises, de capitaux ou encore d'informations, à l'intersection de plusieurs espaces et rapports sociaux. Les présentations ont donné à voir tant les échanges, les hybridations et les appropriations de ces flux, que les oppositions qu'ils rencontrent : celles-ci peuvent être liées à leurs conséquences sur l’environnement ou la santé, par exemple, ou être menées au nom d’un risque, d’un danger ou d’une idéologie. Alors que les enjeux liés à la mondialisation, aux frontières, aux migrations, au numérique, aux « paradis fiscaux », aux big data ou encore aux discriminations saturent les débats publics actuels, la sociologie propose de nombreux outils pour les étudier, en s'appuyant sur des enquêtes empiriques rigoureuses.
Organisé sur quatre jours, le congrès s'est décliné en une séance plénière, douze séances semi-plénières, et 300 sessions organisées par les 49 réseaux thématiques de l’AFS et a été ponctué de moments consacrés à la vie de l’association (Assemblée générale, États généraux de la discipline, 20 ans de l'Association, forum des revues de sociologie).
Il est bien sûr difficile de faire état en peu de mots de la richesse des échanges tout au long du congrès, qui témoigne du dynamisme de la discipline. Quelques points sont toutefois saillants. Plusieurs séances du congrès ont été consacrées aux perspectives intersectionnelles. Loin des caricatures qui en sont régulièrement proposées, il s'est agi de retracer l’histoire de ces approches, les circulations internationales des concepts (pas uniquement états-uniens) et de souligner les apports des analyses sur les intrications des rapports de domination (notamment de genre, de classe et de race). Ces séances ont montré la diversité des pratiques de recherche engagées et les nouvelles interprétations du monde social qu’elles ouvrent.
Ce sont aussi les questions de circulations et les outils mis en œuvre pour les étudier (ethnographie multi-située, analyse de big data ou de réseaux, récits de migrations, monographies de familles, mobilisation d'images, etc.) qui ont été au cœur des réflexions du congrès, augurant de nouveaux courants de recherches en lien avec d’autres disciplines des sciences sociales. Les échanges ont notamment porté sur les frontières et sur leur dépassement, sur la circulation des émotions, sur la transition en conflit ou encore sur les espaces sociaux du militantisme et les circulations auxquelles ils donnent lieu.
Enfin, le congrès a été l'occasion de réflexions plus spécifiques sur les circulations et les intersections de la sociologie comme discipline et comme domaine professionnel. Des sessions ont ainsi été consacrées aux pratiques théoriques de la sociologie française et aux évolutions de la discipline en dialogue avec d’autres espaces nationaux, aux revues (notamment à l’accroissement important du nombre de revues de sociologie en France) et à la circulation des idées sociologiques dans le monde social, à la pratique de la sociologie sur et depuis les territoires dits d'Outre-mer, à la pratique sociologique dans des pays autoritaires ou encore à l'exercice du métier de sociologue au-delà du monde académique. Cette édition marquait les vingt ans de l'association : la présence des anciennes présidentes a permis de retracer l'histoire de celle-ci, les enjeux de sa création et son évolution.1 L'association a progressivement pris le rôle de représentation de la discipline auprès d'autres sociétés savantes nationales et internationales et d'institutions hors du monde académique. Si les congrès bisannuels constituent des moments privilégiés d'échanges dans la discipline, les 49 réseaux thématiques, progressivement mis en place, participent aussi très activement à la structuration de la discipline en France (par l'organisation d'événements scientifiques réguliers, des publications, la circulation d'informations, etc.).
Le succès de ce congrès témoigne de l'importance acquise, depuis vingt ans, par l'association, dans la circulation, la discussion voire la confrontation d'hypothèses, résultats, questionnements. Enfin, l'association joue aussi un rôle fondamental dans la socialisation des collègues non-titulaires qui participent pleinement aux échanges intellectuels, à l'animation des réseaux et du Comité exécutif.
- 1Le dernier numéro de la revue de l’AFS, Socio-Logos, est consacré à cette histoire : Dufoix S., Thomé C., Vannier P. 2023 (dir.), « Dossier : Les vingt ans de l’AFS », Socio-Logos, n° 19. https://journals.openedition.org/socio-logos/6244.
Le congrès de l'Association française de sociologie (AFS)
Le congrès de l'AFS, organisé tous les deux ans, a rassemblé pour son édition de 2023 plus de 1 700 participantes, essentiellement issues d'universités et d'établissements de recherche français. Elles et ils étaient 42 % à être titulaires de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) et 58 % à être non-titulaires (surtout doctorantes et docteures en contrats à durée limitée). On compte par ailleurs parmi les participantes une nette majorité de femmes dans une discipline qui tend à se féminiser tant au niveau de ses étudiantes que de ses personnels.
L’augmentation constante du nombre de participantes d'un congrès à l'autre témoigne de la vitalité tant de l'AFS que de la sociologie. Le nombre de participantes non-titulaires souligne toutefois le très haut niveau de précarité dans cette discipline, qui est particulièrement affectée par la réduction des postes permanents mis aux concours dans les organismes de recherche et les universités. Cette situation nous a incitées à créer un Observatoire de l’emploi en sociologie, en partenariat avec l’Association des sociologues enseignantes du supérieur (ASES). Les premiers travaux de cet observatoire ont été présentés lors du congrès. Ils ont porté sur l’évolution de l’emploi en lien avec l’augmentation très importante du nombre d’étudiantes dans les filières de sociologie.
L’organisation du Congrès a par ailleurs mis un fort accent sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. En plus d'une conférence-formation autour de la question des violences sexistes et sexuelles dans le monde académique et notamment lors des colloques, différents dispositifs ont été mis en place pour informer, prévenir et réagir au mieux face à ces violences : charte à signer au moment de l'adhésion, table d'information et affichage, présence visible d'un groupe engagé dans cette lutte tout au long du congrès (en particulier dans les moments plus festifs), ou encore disponibilité permanente d'un numéro de téléphone pour joindre ce groupe.
D'autres principes forts ont été adoptés dans l'organisation du congrès. L'attention a été portée sur l'inclusion de toutes et tous (accessibilité des espaces du congrès) et sur l'objectif de réduction des émissions carbone (limitation des déchets, encouragements à la mobilité douce, repas au restaurant universitaire, etc.).
Le bureau du Comité exécutif de l’AFS et Christine Détrez, directrice du Centre Max Weber