Le CTAD : un laboratoire tourné vers le monde

La Lettre Droit

#VIE DES LABOS

Le Centre de théorie et d’analyse du droit (CTAD, UMR7074, CNRS / Université Paris Nanterre / ENS-PSL), dont l’histoire commence en 1978, est aujourd’hui une unité reconnue, qui se caractérise par son orientation internationale. D’abord centré sur la théorie du droit, le laboratoire a été rejoint, dans les années 2000 puis en 2013, par une équipe travaillant sur l’histoire du droit et le droit international, puis par le centre de recherche et d’études sur les droits fondamentaux. Elle est aujourd’hui la seule unité mixte de recherche en France dévouée principalement à la théorie du droit et à l’étude des droits fondamentaux.

Ce laboratoire se compose de deux équipes : l’une travaillant sur la théorie, l’histoire du droit et le droit international (TheorHis) et l’autre, le centre de recherche et d’études sur les droits fondamentaux (CREDOF), dont les recherches sont liées aux droits et libertés. Il est aujourd’hui dirigé par Olivier Leclerc, directeur de recherche CNRS et membre de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en santé publique et environnement (cnDAspe) ainsi que du Comité d’éthique du CNRS (COMETS).

Le CTAD participe et, souvent, est à l’initiative de multiples projets tournés vers l’international. 

L’un de ses projets est initié par la société internationale pour la philosophie du droit et la philosophie sociale — connue sous son sigle allemand IVR, Internationale Vereinigung für Rechts und Sozialphilosophie — et plus particulièrement sa section française — la Société française pour la philosophie et la théorie juridiques et politiques (SFPJ), qui offre un espace de réflexion sur la théorie et la philosophie du droit commun aux juristes et aux philosophes. Cette dernière organise un congrès mondial tous les deux ans. « En 2028, c’est la France qui, pour la première fois, va orchestrer l’une de ces éditions, autour des thèmes de la durabilité et de la soutenabilité », souligne Véronique Champeil-Desplats, professeure de droit public au CTAD, vice-présidente aux affaires juridiques et institutionnelles de l’université Paris Nanterre, membre de droit du Conseil d’administration de la SFPJ et également directrice de la Revue des Droits de l’Homme créée par le CREDOF il y a une dizaine d’années, publiée deux fois par an et disponible en libre accès sur OpenEdition. Plaçant les thématiques du droit et de la démocratie au cœur des débats, cette manifestation entend être un « congrès mondial durable ». Il s’agit d’un défi important relevé par les universités franciliennes fédérées autour de cet événement qui devrait rassembler près de 800 personnes.

En attendant 2028, le CTAD est loin d’être inactif. Depuis janvier 2023, le laboratoire est impliqué dans la chaire de recherche France-Québec sur les enjeux contemporains de la liberté d’expression COLIBEX, permettant à la France et au Québec de collaborer à propos de la liberté d’expression. Cette chaire est divisée en quatre axes : Liberté d’expression, démocratie et droits humains fondamentaux : quelle régulation ? (axe 1) ; Liberté d’expression, croyances religieuses et identités (axe 2) ; La liberté d’expression, la liberté académique et la production des savoirs (axe 3) ; La liberté d’expression artistique sous tensions (axe 4). C’est Thomas Hochmann, professeur à l’université Paris Nanterre et membre du CTAD, qui coordonne l’axe 1 côté français. En plus des thèses et des contrats post-doctoraux, ce projet donne lieu à des publications et à l’organisation de nombre de colloques, ateliers, journées d’études sur des thèmes aussi variés que le droit face à la désinformation, les discours et symboles de haine en droit comparé, ou encore les mots interdits et tabous. « Avec cette chaire », explique Thomas Hochmann, « nous souhaitons fédérer les personnes travaillant sur la liberté d’expression et soutenir les recherches émergentes sur cette thématique. On veut s’adresser à un public large ! C’est pour répondre à cet objectif qu’on se saisit de nouveaux formats, en montant, par exemple des pièces de théâtre ». Par ailleurs, en mars 2025 a été publié chez Anamosa un ouvrage grand public portant notamment sur l’idée que la liberté d’expression a été détournée pour protéger discours de haine et désinformation : « On ne peut plus rien dire… » Liberté d’expression : le grand détournement1.

Le CTAD abrite en son sein de nombreux programme ANR parmi lesquels ELIPS - Égalité et droit dans les pays à pluralité de statuts personnels, coordonné par Jean-Louis Halpérin, professeur de droit contemporain à l’ENS-PSL, lauréat de la médaille d’argent 2024 du CNRS et auteur de l’ambitieux ouvrage Une histoire des droits dans le mondeEn lien avec deux autres unités — le Centre population et développement (Ceped, Université Paris Cité / IRD) et le laboratoire Les Afriques dans le monde (LAM, UMR5115, CNRS / Sciences Po Bordeaux / Université Bordeaux Montaigne) — le projet ELIPS vise à comparer les systèmes juridiques en Asie et en Afrique, et notamment les pays reconnaissant une pluralité de droits personnels (c’est-à-dire, les droits de la personne ou de la famille). Après une longue période caractérisée par le déni de toute opposition entre le principe d’égalité et la pluralité des lois de la famille, un nombre croissant de conflits éclatent aujourd’hui dans des pays asiatiques, africains et au Proche Orient, tant au niveau de l’élaboration que de l’application de lois relatives au statut personnel. Quels sont les différents facteurs à l’origine de ces tensions et quelle est la portée des évolutions politiques et sociales dans la manière dont les lois sur le statut personnel sont conçues et appliquées par les juges, les avocats et les autres professionnels du droit ?
Ce projet étudie plus particulièrement six pays (Cameroun, Égypte, Inde, Indonésie, Liban et Tanzanie) où des jugements récents montrent l’apparition de nouvelles tensions entre les lois sur le statut personnel et le principe d’égalité. Ce programme, qui s’achèvera courant 2025, est accompagné d’enquêtes sur le terrain et verra la parution d’un ouvrage collectif en anglais.

Dessin probatoire de l’origine de la contamination de l’eau d’un puits, suite à une expérimentation présentée dans le détail dans le procès-verbal d’expertise
(AN, Z/1j/753B, dossier n° 4, 3 juin 1746. Rue Sainte-Anne, Butte Saint-Roch) © Archives nationales

Très impliqué à l’échelle internationale, le CTAD n’en n’oublie pas pour autant son appartenance européenne et encourage fortement la construction de liens entre les pays européens. Le projet France/Italie. Allers/retours, en histoire comparée du droit, en est un bon exemple. Lancé en 2018 par Luisa Brunori, directrice de recherche CNRS au CTAD, et Cristina Ciancio, professeure à l’université du Sannio à Benevento, le projet a vocation à comparer les systèmes juridiques français et italien. Avec des rencontres tous les deux ans entre la France et l’Italie, le projet a déjà abordé d’importantes thématiques, notamment sur la volonté ou encore sur les luttes et revendications. « Contre toute attente, la première édition, organisé dans la petite ville de Benevento, en Campanie, a rencontré un véritable succès médiatique et donné lieu à une première publication en accès libre », commente Luisa Brunori. Depuis, chaque rencontre fait l’objet d’une publication. La prochaine édition prévue à Paris en septembre 2025, portera sur le thème « Écrire le droit ». 

Luisa Brunori coordonne également le réseau de recherche international PHEDRAPour une Histoire Européenne du DRoit des Affaires2, dont le prochain colloque, organisé du 25 au 27 juin 2025, devrait poser les bases des perspectives futures en s’intéressant à la question : « Existe-t-il un modèle européen ? Pour une histoire du droit des affaires de l’Atlantique à la Mer noire ».

Bien que fortement tourné vers l’international, le CTAD s’intéresse également à de nombreuses thématiques à l’échelle nationale. 

C’est le cas du programme Experts (Pratiques des savoirs entre jugement et innovation. Experts, expertises du bâtiment, Paris 1690-1790), financé par l’ANR, et coordonné par Robert Carvais, directeur de recherche CNRS émérite au CTAD. Ce projet vise à examiner, à partir d’un secteur économique majeur — celui du bâtiment à l’époque moderne —, le mécanisme de l’expertise : comment la langue technique régulatrice des experts s’impose à la société, comment leur compétence se convertit en autorité, voire parfois en « abus d’autorité » ? Pour ce faire, Robert Carvais a pu s’appuyer sur un fonds d’archives exceptionnel conservant l’ensemble des procès-verbaux d’expertise du bâtiment parisien entre 1690 et 1790. L’enquête menée a permis la mise en place d’un inventaire des procès-verbaux et prouvé que les deux communautés d’experts — architectes et entrepreneurs — étaient considérés comme faisant partie d’un même corps. 

Parallèlement à ce programme, Robert Carvais porte également le projet financé par l’IERDJ À dires et traits d'experts. Analyse du langage des procès-verbaux d'expertise du bâtiment du XVIIIe siècle : mots, discours et figures. Cette recherche s’intéresse à la matière même du texte des procès-verbaux d’experts en profitant de l’opportunité de disposer d’un corpus numérisé et finement indexé au terme d’une recherche financée par l’ANR pour analyser le discours de l’expertise à travers une investigation qui se déploie selon trois grands axes : le vocabulaire des locuteurs (experts principalement, mais aussi parties, voisins, etc.), les discours des experts et le recours au dessin. « Ce projet convoque différentes disciplines — droit, histoire économique, technique… Il est directement ancré dans le champ des humanités numériques. Une prochaine étape pourrait être de mesurer l’autorité de l’expertise à l’égard du juge. D’ici là, un ouvrage sur les Mécanismes de l’expertise et ses acteurs (xvie-xixsiècles) comportant les résultats de la recherche mis en perspective va paraître prochainement », conclut Robert Carvais.

Pierre Le Paultre (1652-1716), Liste des membres du corps des experts jurés du roi à Paris en 1709
(papier, eau-forte, 51,6 x 35,4 cm. © Collection particulière

Enfin, le laboratoire est au cœur d’un autre projet financé par l’ANR : CRISP – Relever le défi de l’intégrité de la recherche dans les pratiques scientifiques, coordonné par le chercheur en droit Olivier Leclerc, et Stéphanie Ruphy, professeure de philosophie des sciences et devenue directrice de l’Office français d’intégrité scientifique. L'objectif principal de ce projet est d'explorer les conditions dans lesquelles l'action institutionnelle et le discours sur l'intégrité de la recherche peuvent être efficaces et améliorer les pratiques de recherche, d'anticiper les impacts sur les pratiques ordinaires de recherche et l'organisation de la recherche, et de proposer des recommandations. « Avec une forte composante de philosophie des sciences, de science juridique, de sociologie, nous nous intéressons à la diversité des pratiques des scientifiques selon les champs disciplinaires », commente Olivier Leclerc. « Nous cherchons à identifier les enjeux, les facteurs de manquement à l’intégrité scientifique et à voir quels aspects juridiques sont liés à cette question ». Un sujet cher au chercheur qui a déjà publié, en juin 2024, un ouvrage de référence intitulé Déontologie de la recherche et intégrité scientifique. En parallèle, de nombreux événements ont été organisés, et une conférence de clôture est prévue à Paris en avril 2025. 

Si le laboratoire est déjà moteur en matière de recherches, de projets, de publications et d’événements, il sait également se saisir de thématiques émergentes, fortement ancrées dans les enjeux actuels. Le CTAD s’intéresse ainsi aux questions environnementales. Directeur des études à l’ENS-PSL, Florian Couveinhes Matsumoto s’intéresse à la manière dont le droit international économique est bousculé par les mutations en cours et à la manière dont il doit opérer sa transition écologique (alignement des règles, institutions et procédures du droit international économique sur les exigences du Droit international de l’environnement). Dans cette optique, il a organisé en octobre dernier une table ronde sur « Les tensions du Droit international entre économie et environnement », lors de la dernière Nuit du Droit organisée en octobre dernier. Ces enjeux majeurs feront par ailleurs l’objet, tout au long de l’année 2025, de publications et de manifestations, dont au début du mois de juin un colloque international intitulé Towards a Global Ecological-Economic Legal Framework.

Nuits du droit, pièces de théâtre, festival des idées… Non content de mener une recherche fondamentale de qualité, le CTAD s’efforce de restituer ses résultats auprès de la société civile. Le laboratoire a ainsi participé à la reconstitution du Procès de Bobigny, autour de la question de l’avortement, ou encore à la pièce Notre Procès sur les liens entre création littéraire et violences sexuelles. Enfin, des membres du laboratoire participent depuis plusieurs années à des festivals d’idées organisés par le Centre culturel de Goutelas. Ce sera le cas en 2025 pour débattre sur la thématique des services publics et de leur implication dans les territoires ruraux.

L’année 2025 s’annonce donc plus que riche pour le CTAD, qui cherche sans cesse à innover, tant dans la forme que dans les sujets abordés. 

Zoë Cheron, CNRS Sciences humaines & sociales

Contact

Olivier Leclerc
Directeur de recherche CNRS, Centre de théorie et analyse du droit

Notes

 

  1. Hochmann T. 2025, « On ne peut plus rien dire… » Liberté d’expression : le grand détournement, Anamosa.
  2. À ce sujet, voir : Brunori L. 2024, PHEDRA : un réseau pour une histoire européenne du droit des affaires, CNRS Sciences humaines & sociales - La Lettre n°90.
    https://www.inshs.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/phedra-un-reseau-pour-une-histoire-europeenne-du-droit-des-affaires