Le groupement de recherche OMER et les sciences humaines et sociales

Lettre de l'InSHS Autres

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Lancé il y a trois ans, sous l'égide de la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (MITI) du CNRS, le Groupement de Recherche Océans et Mers (OMER) s’est donné comme principal objectif d’aborder des problématiques scientifiques autour de l'environnement marin avec une approche fortement transdisciplinaire.

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Etoile de mer, soleil de mer pourpre, Solaster endeca, à la sortie de la baie de Saint-Pierre © Erwan AMICE / LEMAR / CNRS Images

« La transdisciplinarité, dans OMER, n’est pas un simple affichage », indique Fabrizio D’Ortenzio, le coordinateur du GdR OMER. « Le conseil scientifique d’OMER (qui rassemble trente chercheurs et chercheuses provenant de différentes disciplines) est convaincu que pour résoudre les enjeux relatifs à l’environnement marin et le comprendre sous tous ses angles, l’approche transdisciplinaire ne peut pas être négligée », continue Fabrizio D’Ortenzio. « Bien entendu,  cela doit se faire en complément, et non en alternative, aux approches disciplinaires qui restent  fondamentales pour l’avancée de la connaissance ».

Mais la transdisciplinarité n’est pas une approche facile. OMER est confronté à plusieurs défis : « D’abord l’ampleur de l’objet d'étude, l'océan sous toutes ses facettes : ses dimensions (les plus grandes superficies et volumes sur le globe), son interconnexion avec les autres systèmes Terre (l'atmosphère, les réseaux hydrographiques, etc.), son rôle majeur en appui des sociétés humaines (géopolitique, histoire, ressources matérielles et immatérielles), ses capacités d'échanges du local au global (flux de matière, d'énergie, d'organismes, circulations globales), le mystère qu'il continue d'alimenter (diversité insoupçonnée, imaginaires collectifs, etc.) », poursuit le chercheur CNRS. Il est par ailleurs complexe de coordonner un réseau académique certes d’excellence mais qui est souvent compartimenté et avec des modalités et des fonctionnements qui peuvent s'avérer très différents. « La "simple" démarche qui consiste à identifier des revues scientifiques capables de publier nos travaux s'avère d’une difficulté extrême », confirme Fabrizio D’Ortenzio. Pour cela, le conseil scientifique d’OMER a défini douze thématiques prioritaires, organisées en Groupes de travail (GT), qui vont permettre de plus facilement coordonner l’activité. « Certes, les Groupes de travail ne sont pas exhaustifs des possibilités de la recherche transdisciplinaire française sur l'océan, loin de là. Mais leur activité va nous permettre de commencer à identifier les verrous majeurs et, je l'espère, de devenir un exemple pour continuer. Et cela, en faisant de la science d'excellence ».

Les sciences humaines et sociales (SHS) n'échappent pas à cette volonté d’OMER de dépasser les frontières disciplinaires. Un tiers des membres du conseil scientifique est issu de SHS, et dans tous les Groupes de travail, la composante SHS est mise en avant. « Certains GT sont très clairement issus des disciplines SHS, comme l’histoire, la sociologie, l’économie ou la géographie », continue Fabrizio D’Ortenzio, « mais l'intérêt d’OMER est de commencer à favoriser le partage des connaissances et l'inclusion des autres disciplines dans ces thématiques traditionnellement abordées par les SHS ».

Le cas du Groupe de travail Post-littoralisation et transitions environnementales (POETE) illustre bien cette dynamique. Coanimé par un chimiste, un géomorphologue et une anthropologue, Alix Levain, chercheuse au sein de l’unité  Aménagement des Usages des Ressources et des Espaces marins et littoraux, il fédère aujourd’hui environ quatre-vingt membres d’appartenances institutionnelle et disciplinaire très variées, autour d’un questionnement commun : les transformations écologiques et socio-démographiques très rapides, mais très hétérogènes, que connaissent les littoraux aujourd’hui remettent-elles en cause l’attractivité des littoraux et les phénomènes, bien documentés et conceptualisés par les géographes, de littoralisation ? Comment les habitantes des littoraux fortement anthropisés se saisissent-ils des signaux multiples de dégradation, des changements matériels et immatériels qui affectent leurs conditions de vie, des pollutions terrigènes et des perspectives d’exposition accrue aux risques côtiers que dessinent les travaux scientifiques ?

Davantage que les initiateurs et initiatrices du groupe de travail POETE ne l’avaient imaginé, les chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales y sont très présents. L’une des hypothèses pouvant expliquer cette participation inattendue est la moindre structuration de certaines communautés SHS autour de la thématique maritime, qui stimule les souhaits de mise en réseau : au-delà de quelques grandes unités de recherche côtières, les chercheurs et chercheuses en SHS qui travaillent sur des objets marins sont souvent dispersés dans un très grand nombre d’équipes de recherche. Cette participation active traduit peut-être aussi le développement du domaine des sciences sociales de la mer (Marine Social Sciences), observable à l’échelle internationale et qui se manifeste, dans la communauté POETE, par la forte présence de jeunes chercheurs et chercheuses qui explorent ou revisitent des sujets interdisciplinaires comme les cultures du risque en milieu côtier, les co-spatialités entre populations humaines et non-humaines, les mobilisations pour la justice bleue, l’histoire environnementale complexe de territoires successivement immergés, émergés, submergés, ou les approches intégrées de la vulnérabilité des socio-écosystèmes côtiers.

L’animation scientifique de la communauté POETE est conçue pour accueillir cette diversité et ouvrir des espaces pour faire naître ou consolider des réflexions, des projets et des écritures partagées. Le webinaire Transitions littorales, dont la programmation est fondée sur des propositions de cycles de six séances par des membres du groupe de travail, est ainsi ouvert à toutes et tous, et compte à ce jour plus de 250 inscrites. Le premier cycle a porté sur les risques littoraux, et mobilisé une douzaine d’équipes de recherche couvrant la quasi-totalité des façades hexagonales et ultramarines. Le second, qui vient de s’achever, était consacré aux dynamiques des peuplements littoraux, et c’est sur la profondeur temporelle, la non-linéarité des processus de peuplement et de partage de l’espace qu’ont porté les échanges. Il s’agira, pour cette deuxième année de fonctionnement, de transformer ces échanges en productions scientifiques collectives. Le groupe POETE explorera aussi, au travers de deux nouveaux cycles du webinaire, les liens entre trajectoires de recherche en sciences du littoral et de la mer et  inspirations littéraires (Cycle Littoraux POETiques), puis les sensorialités à l’œuvre dans la construction des savoirs sur la mer (Cycle Odeurs et couleurs de la mer).

La question des études rétrospectives se pose dans de nombreux domaines scientifiques et OMER offre un nouvel espace de discussion et d’organisation pour les chercheurs et chercheuses soucieux d’ancrer leurs pratiques dans les méthodologies propres à l’Histoire. En effet, avec le soutien de l’InSHS, la communauté des historiennes s'est organisée depuis longtemps pour partager son expertise avec des chercheurs et chercheuses  d’horizons divers (biologie, droit, sciences économiques, géographie, archéologie). C'est la raison d'être du Groupement d'intérêt scientifique Histoire et sciences de la mer. La communauté OMER offre une excellente complémentarité avec celle de ce GiS car les disciplines qu'on y rencontre (acoustique, robotique, génétique, virologie, microbiologie, biogéochimie, sismologie…)  évoluent jusqu'ici assez loin des questions historiques. Pour tenir compte de cette réalité, le groupe de travail Profondeur historiques des océans (PHO) propose quatre entrées thématiques : la maritimisation du monde et la trajectoire historique des sciences marines ; la connaissance et l'histoire de l'émergence du passé géologique des océans ; les sciences marines, la théorie de l'évolution et la transformation de la pensée humaine ; la prise de conscience du One Ocean et du rôle de l'océan dans la régulation du climat. Pour explorer ces différents thèmes, deux entrées principales ont émergé des discussions organisées sous forme de workshops. Tout d'abord, le GT PHO s'intéresse aux trajectoires historiques de champs ou d'institutions de recherche. Entre histoire des sciences et mémoire des scientifiques ayant pris leurs fonctions après-guerre (années 1950), il s'agit d'identifier les points de bascule (milestones) par l’histoire des acteurs et des facteurs d'évolution des sciences de la mer. Un premier atelier de collecte de la mémoire de chercheurs émérites vient de se tenir à la station marine de Villefranche-sur-Mer. Intégralement filmés, les échanges fourniront la matière première de capsules vidéo alliant la mémoire des chercheurs et chercheuses en océanographie, en géologie, en biologie marine et l’analyse historique. En effet, l’atelier a permis de souligner le fait que la recherche est placée sous l'influence d'éléments de politique nationale ou internationale, qu’elle dépend du poids des stratégies et choix méthodologiques ou politiques autour des actions prioritaires, qu’elle est servie par le double jeu des outils de mesure et des questions posées aux jeux de données. Le point d'aboutissement de cet atelier justifie à lui seul la seconde entrée privilégiée dans le cadre des travaux du GT PHO. Il s'agit en effet de faire dialoguer données anciennes et actuelles autour de questions liées à l'évolution, celle du climat ou de la météo, celle des environnements marins, côtiers ou insulaires, celle des écosystèmes ou des socio écosystèmes, celle des patrimoines immergés ou submergés. Au-delà de cette comparaison entre états anciens et actuels, il est également question de se saisir de jeux de données anciens afin de les augmenter ou de les corriger grâce à des techniques actuelles (prédictions, modélisations). Cela invite les membres du GT PHO à travailler à la constitution de répertoires et d'inventaires de sources archivistiques propres à lancer des actions de recherche en ce sens.

L'archéologie est aussi une discipline abordée dans OMER, notamment pour bénéficier des méthodes de compréhension des interactions entre les civilisations humaines et l'environnement marin et pour fournir aussi aux autres disciplines de clés de lecture de ces interactions dans le présent et dans le futur.

Le représentant de l'archéologie dans le conseil scientifique OMER que fut Grégor Marchand, directeur de recherche CNRS au Centre de recherche en archéologie, archéosciences, histoire (CReAAH, UMR6566, CNRS / Université de Rennes / Université Rennes 2 / Le Mans Université / Nantes Université / Ministère de la Culture), spécialiste des populations maritimes du Mésolithique, était fort d’une expérience pluri-décennale passée sur les terrains de Mer d’Arabie, Saint-Pierre et Miquelon, ou du Labrador. « Grégor était un vrai OMERien », rappelle Fabrizio D’Ortenzio. « Quand il y a trois ans, on s'était rendu compte de la nécessité critique d’avoir un archéologue dans le conseil scientifique, toutes les personnes contactées nous ont dirigés sans hésitation vers Grégor. Je ne le connaissais pas, mais il a accepté avec un enthousiasme incroyable ma proposition et depuis a été un pilier d’OMER ». Grégor Marchand était un chercheur passionné, dont la curiosité insatiable et l'esprit d'exploration ont marqué de nombreux domaines de l'archéologie selon ses collègues qui lui rendent hommage sur le site web du CReAAH. « Ses contributions remarquables à la connaissance de l'histoire et de la culture des populations maritimes de chasseurs cueilleurs ont enrichi notre compréhension du passé et nous ont permis de mieux appréhender notre propre identité et de comprendre les racines de notre fascination pour le milieu marin. Il a su mieux que personne tisser des liens forts avec les autres disciplines du GDR. Au-delà de ses réalisations académiques, Grégor Marchand était également un être humain remarquable, chaleureux et attentif. Sa gentillesse et son sens de l'humour ont touché tous ceux qui ont eu la chance de le côtoyer au sein du conseil scientifique d’OMER et ses qualités vont désormais beaucoup nous manquer ».

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Ancien ponton sur l'île de Ha'afeva, dans l'archipel des Tonga © Franck LAVIGNE / LGP / CNRS Images

Le rassemblement de toutes les forces vives de la recherche marine française dans le format interdisciplinaire offert par le GDR OMER s’imposait pour faire face aux grands défis de connaissance qui attendent l’humanité au xxie siècle. OMER est en passe de réussir son pari en réunissant déjà un très grand nombre de chercheuses et chercheurs issus d’un large spectre de domaines scientifiques qui dialoguent et construisent ensemble. Les modalités d’interaction proposées par OMER (thèses partenariales, webinaires et ateliers interdisciplinaires, journées scientifiques communes, etc.) viennent enrichir et consolider le paysage national de la recherche marine, comblant ainsi l’absence de structuration qui prévalait jusqu’alors et permettant de l’arrimer davantage à la communauté scientifique internationale. Faisons donc le pari de l’intelligence collective mise au service de l’océan, de la santé des écosystèmes et des hommes qui en dépendent.

Fabrizio D’Ortenzio, directeur de recherche CNRS,Laboratoire d'océanographie de Villefranche (LOV,UMR7093, CNRS / Sorbonne Université) ; Alix Levain, chargée de recherche CNRS, Aménagement des usages des ressources et des espaces maritimes et littoraux (AMURE,UMR6308, CNRS / Ifremer / Université de Bretagne Occidentale) ; Thierry Sauzeau, professeur à l'université de Poitiers, Centre de recherches interdisciplinaires en histoire, histoire de l’art et musicologie (Criham, UR15507, Université de Poitiers / Université de Limoges) ; Frédérique Viard, directrice de recherche CNRS, Institut des sciences de l'évolution de Montpellier (ISEM, UMR5554, CNRS / IRD / Université de Montpellier) ; Patrice Guillotreau, professeur à l'université de Nantes, Biodiversité marine, exploitation et conservation (MARBEC, UMR9190, CNRS / IRD / Ifremer / Université de Montpellier)

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Bureau de coordination OMER