Manifestation pour le climat à Genève le 6 avril 2019. Pont du Mont-Blanc. « Au boulot à vélo plutôt qu'au fitness en auto ! ». ©MHM55 / Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license

Le vélo, un potentiel inexploité pour améliorer la santé

Résultats scientifiques Economie/gestion

À partir d’une enquête sur les déplacements en France, une équipe de recherche internationale a mené une évaluation quantitative d’impact sanitaire pour évaluer l’effet de la pratique du vélo sur cinq pathologies chroniques et sur la mortalité toutes causes confondues. Elle a ensuite estimé les coûts médicaux et les coûts intangibles de santé associés à ces pathologies et à ces décès, et conclu qu’un kilomètre parcouru à vélo permet d’éviter environ un euro de coûts sociaux de santé. Ces recherches ont donné lieu à la parution d’un article dans The Lancet Regional Health – Europe.

Dans une étude récente, une équipe de recherche internationale, parmi laquelle Philippe Quirion, directeur de recherche CNRS au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement (CIRED, UMR8568, CNRS / AgroParisTech / Cirad / École des Ponts ParisTech)1 , a évalué les bénéfices pour la santé publique et le climat de la pratique du vélo en France. L’enquête « Mobilité des personnes » montre que les Français pédalent peu : en moyenne chez les 18 ans et plus, à peine plus de 2 kilomètres par semaine. À titre de comparaison, les Hollandais âgés de 75 ans et plus couvrent en moyenne 13,7 kilomètres par semaine, soit près de sept fois plus. En outre, en France, les hommes parcourent près des trois quarts des kilomètres effectués à vélo, là où la pratique est bien plus équilibrée entre les sexes aux Pays-Bas.

Dans un deuxième temps, les chercheurs ont quantifié les cas de maladies chroniques et les décès évités par la pratique du vélo en 2019. Pour ce faire, ils ont employé la méthode de l’évaluation quantitative d’impact sanitaire, qui permet de calculer l’ampleur des conséquences pour la santé d’une exposition à un facteur de risque, ou au contraire l’ampleur des bénéfices d’un facteur protecteur pour la santé, au sein d’une population donnée.

Dans le cas du vélo, la synthèse des études épidémiologiques sur le sujet nous apprend que 100 minutes de vélo par semaine permettent de réduire la mortalité toutes causes confondues de 10 % chez les adultes. Cette relation entre temps de pratique du vélo et risque de mortalité peut ensuite être extrapolée et appliquée aux niveaux observés de pratique du vélo.

De la même façon, les auteurs de l’article ont sélectionné cinq pathologies chroniques pour lesquelles une association avec l’activité physique avait été reportée dans des méta-analyses : les maladies cardio-vasculaires, le diabète de type 2, le cancer du sein, le cancer de la prostate et la démence.

Ils ont alors pu mettre en évidence que les niveaux de pratique du vélo rapportés en 2019 permettaient d’éviter près de 2 000 décès et 6 000 cas de pathologies chroniques chaque année.

Ces décès et pathologies chroniques évités représentent des dépenses de santé en moins pour la collectivité, qui peuvent être chiffrées grâce aux données de l’assurance maladie : près de 200 millions d’euros par an.

Toutefois, si ces coûts médicaux directs ont l’avantage d’être « tangibles », au sens où il s’agit de dépenses monétaires, ils ne représentent que la partie émergée de l’iceberg : éviter une pathologie ou un décès a une valeur pour la société, même en l’absence de traitement ou d’indemnisation. En effet, maladies et décès ont des conséquences immatérielles qui affectent non seulement la personne concernée, mais aussi son entourage et la collectivité : préjudice moral, perte de bien-être, impact sur la vie des proches (notamment aidants), perte de productivité…

Pour en tenir compte et évaluer de manière cohérente les coûts des pathologies et décès évités, les économistes de la santé utilisent la notion de « coûts intangibles de santé », autrement dit de coûts sociaux de santé.

Sur cette base, le rapport de la mission présidée par l’économiste Émile Quinet en 2013 a recommandé d’utiliser pour l’évaluation de politiques publiques la valeur de 3 millions d’euros par décès évité, soit 3,48 millions en euros actuels.

Les chercheurs ont ainsi estimé que la pratique du vélo avait permis d’éviter 4,8 milliards d’euros de coûts sociaux de santé en 2019. Rapportés au nombre de kilomètres parcourus à vélo l’année de l’enquête (4,6 milliards de kilomètres), cela a permis d’estimer que chaque kilomètre parcouru à vélo évite environ 1 euro de coûts sociaux de santé.

Enfin, les bénéfices à attendre de politiques de promotion du vélo ont été estimés. Ici, les données individuelles détaillées de l’enquête « Mobilité des Personnes » réalisée en 2019 permettent de modéliser le scénario selon lequel une partie des trajets de moins de 5 kilomètres effectués en voiture le seraient à vélo. Dans leur étude, les chercheurs ont simulé les effets d’un report de 25 % de la voiture vers le vélo pour de tels trajets. Ce report, somme toute modeste, permettrait de prévenir 1 800 décès de plus et d’éviter 2,6 milliards d’euros supplémentaires de coûts sociaux de santé.

À plus long terme, la plupart des scénarios énergie-climat compatibles avec les engagements climatiques de la France, qu’ils soient développés par l’Ademe ou l’association négaWatt, prévoient une hausse importante du recours au vélo. Dans un tel contexte, les pouvoirs publics auraient tout à gagner à mettre en avant la convergence des bénéfices climatiques et sanitaires du vélo.

D’autres études ont montré par ailleurs que la mise en œuvre du scénario de transition bas-carbone décrit en 2021 par l’association négaWatt permettrait d’éviter environ 10 000 décès par an à l’horizon 20502 , ce qui se traduirait par environ 40 milliards d’euros de bénéfice annuel. À l’inverse, atteindre la neutralité carbone en se reposant essentiellement sur l’électrification du parc automobile passerait complètement à côté des bénéfices sanitaires liés à l’activité physique liée aux transports actifs3 . Il s’agirait là d’une formidable occasion manquée de mobiliser cette possible synergie entre atténuation du changement climatique et amélioration de la santé publique.

  • 1En collaboration avec Kévin Jean, maître de conférences au Laboratoire Modélisation, épidémiologie et surveillance des risques sanitaires (MESuRS, Cnam), Audrey de Nazelle, maîtresse de conférences au Centre of Environmental Policy de l’Imperial College London, Marion Leroutier, postdoctorante au Mistra Center for Sustainable Markets (Misum) de Stockholm School of Economics et Émilie Schwarz, étudiante au sein du Master of Public Health de l’École des Hautes Études en Santé Publique.
  • 2Jean K., Quirion P. 2022, Marche, vélo : les gains sanitaires et économiques du développement des transports actifs en France, The Conversation. https://theconversation.com/marche-velo-les-gains-sanitaires-et-economiques-du-developpement-des-transports-actifs-en-france-189487
  • 3Moutet L., Bigo A., Quirion P., Temime L., Jean K. 2023, Different pathways toward net-zero emissions imply diverging health impacts: a health impact assessment study for France, medRxiv. https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2023.10.03.23296478v2

Référence

Aller plus loin

Objectifs de Développement Durable

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Cette recherche contribue aux objectifs: 3 - Bonne santé et bien-être, 11 - Villes et communautés durables, 13 - Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques

Contact

Philippe Quirion
Directeur de recherche CNRS au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement