Les effets de réseau : la clé pour prédire l’évolution du commerce maritime ?

Résultats scientifiques Sciences des territoires

Le transport maritime représente plus de 70 % de la valeur totale du commerce international et joue un rôle central dans les chaînes d'approvisionnement mondiales. Dans une étude réalisée par Zuzanna Kosowska-Stamirowska, membre associée au laboratoire Géographie-Cités (UMR 8504, CNRS / Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / Université de Paris / EHESS), la chercheuse utilise des méthodes issues des systèmes complexes et de l'apprentissage automatique : elle analyse trente ans de données relatives aux mouvements quotidiens des navires afin de découvrir la principale dynamique qui régit l'évolution de la structure et l'intensité du commerce maritime. Les résultats fournissent une méthode pour modéliser l'évolution future du réseau mondial de transport maritime et la réponse possible du réseau à des perturbations. Les travaux de Zuzanna Kosowska-Stamirowska viennent de donner lieu à la publication d’un article dans la revue PNAS.

Plus de 70 % de la valeur totale du commerce international est acheminée par voie maritime, ce qui représente 80 % de la totalité du fret en volume. En 2016, le secrétaire général de l'ONU a attiré l'attention sur le rôle essentiel du transport maritime, qu'il décrit comme « l'épine dorsale du commerce et de l'économie mondiale ».

Les flux du commerce maritime ont un impact non seulement sur le développement économique des régions concernées, mais également sur leurs écosystèmes, les navires en mouvement étant un important vecteur de propagation de bioinvasions. En parallèle, l'avenir du secteur du transport maritime est inextricablement lié au changement climatique. Les mouvements de navires contribuent de manière significative aux émissions mondiales de CO2, de NOx (oxyde d’azote) et de SOx (dioxyde et trioxyde de soufre), avec — pour l’industrie maritime — des émissions de CO2 comparables à celles de l'Allemagne et des émissions de NOx et de SOx comparables à celles des États-Unis. Enfin, le rôle crucial des supply chains (ou chaînes logistiques) — mis en exergue par la pandémie actuelle de Covid 19 — nous incite à comprendre le comportement de ce système et à prévoir urgemment les futurs flux du commerce maritime.

Dans l'étude publiée dans PNAS, Zuzanna Kosowska-Stamirowska utilise une base de données unique sur les mouvements quotidiens de la flotte mondiale entre 1977 et 2008, fournie par l'assureur maritime Lloyd's, afin de constituer un réseau complexe des flux du commerce maritime où les ports représentent les nœuds et où les liens sont créés par les trajets des navires. Elle effectue ensuite une analyse des données grâce aux outils issus des sciences des systèmes complexes et du Machine Learning pour développer deux modèles : l’un permettant de prédire l’ouverture de nouvelles lignes maritimes, l’autre permettant de prédire les volumes des flux commerciaux futurs sur les lignes. La chercheuse observe dans ces deux modèles l’importance capitale du nombre de voisins en commun (Common Neighbors) entre des paires de ports. En effet, une des explications possibles est qu’un nombre élevé de ports voisins communs indiquerait que le transport maritime entre deux ports qui ne sont pas reliés entre eux doit nécessairement passer par ces ports voisins. Cela augmente in fine la probabilité de former un lien direct.

Les ports de La Spezia et Marsaxlokk sont les deux voisins communs des ports de Palermo et de Tangier. Image reproduite avec l'autorisation de Proceedings of the National Academy of Sciences.
Comparaison de la qualité de prédiction des ouvertures de liaisons entre le modèle développé reposant sur le nombre de voisins en commun (en haut) et le modèle gravitaire de pointe (en bas). Images de l'auteur. Fonds de carte sous licence ouverte Mapbox/Lyrk, avec attribution. Image reproduite avec l'autorisation de Proceedings of the National Academy of Sciences.

Zuzanna Kosowska-Stamirowska confirme ces résultats en étudiant la réaction du réseau aux chocs, par exemple la redirection du trafic du port de Kobe après le tremblement de terre de 1995.

Ces travaux peuvent potentiellement intéresser des chercheurs de nombreux domaines, allant de la science des systèmes complexes à l'économie, la biologie, le génie civil. En outre, l’intérêt des décideurs politiques pour ces travaux a déjà été confirmé. La méthode de prévision proposée permet aux chercheurs et à l'industrie de modéliser facilement les effets de scénarios futurs potentiels au niveau des ports, des régions et du monde. L'étape suivante consisterait à répéter l'analyse des données les plus récentes afin d’observer le comportement du commerce maritime avant et après la pandémie de 2020. Le commerce international va-t-il subir un changement de régime, un réaménagement de son modèle d'évolution ? Nous le saurons bientôt.

Ces travaux de recherche ont conduit à la création de NavAlgo, une start-up qui développe des méthodes d’intelligence artificielle pour concevoir des supply chains plus résilientes, optimisées et respectueuses de l’environnement. La start-up travaille déjà aux côtés de leaders de la logistique, comme CMA CGM et DB Schenker, sur des sujets deep tech avec des transferts de technologie entre le monde de la recherche et l’industrie.

Référence

Kosowska-Stamirowska Z. 2020, Network effects govern the evolution of maritime trade, PNAS.

Contact

Zuzanna Kosowska-Stamirowska
Géographie-Cités