Les oubliées de 14-18 : redonner une voix aux femmes « Mortes pour la France »

Histoire

Longtemps invisibilisées dans les mémoires officielles, les femmes de la Grande Guerre n’ont que rarement reçu la mention « Mort pour la France ». Si les archives n’en comptent qu’un millier, un travail inédit de compilation révèle plus de 8 000 noms. Au-delà d’une base de données, le projet de Magali Jaoul-Grammare, chargée de recherche CNRS au Bureau d’économie théorique et appliquée (BETA, UMR7522, CNRS / Inrae / Université de Strasbourg / Université de Lorraine), vise à restituer la place de ces femmes dans l’Histoire, en éclairant une mémoire jusque-là incomplète et en interrogeant les inégalités de reconnaissance.

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Appel Viviani, 7 août 1914. Aux femmes françaises. Ensemble des affiches de la Grande guerre détenues par la bibliothèque municipale d'Épinal

La Première Guerre mondiale a profondément marqué les mémoires collectives. Pourtant, l’hommage rendu aux victimes du conflit demeure très largement masculin. La mention « Mort pour la France », instituée en 1915 pour honorer celles et ceux tombés en raison directe de la guerre, a été attribuée à près de 1,3 million de soldats. Mais du côté des femmes, les chiffres officiels n’en recensent qu’environ un millier. Ce faible nombre contraste fortement avec la diversité et l’ampleur de leur engagement : infirmières, ouvrières, espionnes, victimes civiles des bombardements ou encore résistantes locales.

Ce projet de recherche s’inscrit dans une démarche de réhabilitation mémorielle. Il ne s’agit pas de minimiser le rôle des hommes dans la Grande Guerre, mais de corriger une omission historique. En compilant des sources variées — archives militaires, registres de décès, bases de données officielles, témoignages — une base pionnière a été constituée, recensant déjà plus de 8 000 femmes décédées du fait du conflit et éligibles, de droit ou de fait, à la mention « Mort pour la France ».

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Des Françaises travaillant dans les champs sous la surveillance de soldats britanniques. Photo prise près d'Amiens. 1917. Image: IWM (Q 3954)

L’enjeu cliométrique1  dépasse le simple exercice statistique. Il s’agit aussi de comprendre pourquoi ces femmes sont restées invisibles : les critères d’attribution étaient-ils biaisés ? Les décès féminins, pourtant liés à l’effort de guerre ou aux violences, étaient-ils jugés moins « dignes » d’être honorés ? 

Les premiers résultats révèlent une double inégalité. D’abord, entre hommes et femmes : à faits similaires, les premiers étaient décorés, les secondes oubliées. Ensuite, au sein même des femmes : les plus modestes ont été bien plus ignorées que celles issues de milieux aisés. Une estimation économique confirme par ailleurs que ces « oublis » ne sauraient s’expliquer par une simple contrainte budgétaire.

En redonnant visibilité à ces destins effacés, cette étude contribue à enrichir notre compréhension de la Grande Guerre et à rééquilibrer la mémoire nationale. C’est un pas vers une histoire plus inclusive, où les sacrifices féminins trouvent enfin leur juste place. À travers cette démarche, il s’agit non seulement de documenter, mais aussi d’inviter à une réflexion collective sur la manière dont nos sociétés choisissent de se souvenir.

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Des femmes françaises réparent et emballent des mastics, dépôt d'artillerie, quai de Javel, Paris, 27 avril 1917. Image: IWM (Q 29390)
  • 1La cliométrie est une démarche de recherche d histoire quantitative fondée sur la théorie économique et informée par la production de données nouvelles et l’utilisation d’outils quantitatifs modernes avec pour but de comprendre le passé.

Contact

Magali Jaoul-Grammare
Chargée de recherche CNRS, Groupe de recherche en cliométrie et histoire de la pensée économique, Bureau d’économie théorique et appliquée