« No(s) futur(s). Genre : bouleversements, utopies, impatiences » : retour sur le 3e Congrès international du GIS Institut du Genre

Lettre de l'InSHS Anthropologie

#À PROPOS

Si ce n’est peut-être guère le rôle des sciences humaines et sociales d’être optimistes ou pessimistes, il est de leur responsabilité d’examiner, penser et comprendre les évolutions. Les études de genre sont de manière centrale partie prenante de ces interrogations, qu’il s’agisse des futurs d’aujourd’hui pour demain ou des « futurs du passé ». Le 3e Congrès international de l’Institut du Genre, « No(s) futur(s). Genre : bouleversements, utopies, impatiences », qui s’est tenu, en collaboration avec l’Université Toulouse - Jean Jaurès, du 4 au 7 juillet 2023, a été l’occasion de démontrer le dynamisme des recherches autour d’un sujet aux enjeux cruciaux.

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© Mallaury Cantagrel et Salomé Garra

Une communauté dynamique

Créé en 2012 à l’initiative du CNRS, le groupement d’intérêt scientifique (GIS) Institut du Genre regroupe de plus en plus d’établissements, actuellement 34 universités françaises et organismes. Cette dynamique s’est confirmée à l’occasion du Congrès qui a réuni près de 750 participantes et participants du monde entier, autour de deux sessions plénières, quatre semi-plénières, trois tables rondes et 113 ateliers issus de l’appel à communications qui a généré 400 propositions. Si la manifestation a laissé toute sa place aux chercheurs et chercheuses confirmées, la jeune recherche y était particulièrement représentée, et même majoritaire (environ 450 mastérantes, doctorantes et post-doctorantes), portant des problématiques qui ont pris de l’ampleur ces dernières années, comme les perspectives queer et intersectionnelles, la non-binarité, les transidentités ou le rôle de l’intelligence artificielle. Le Congrès, après l’édition inaugurale de 2014 à l’ENS Lyon et la 2eédition, « Genre et émancipation », en partenariat avec l’université d’Angers en 2019, illustre la place croissante des travaux sur le genre et les sexualités, et l’existence d’une communauté à la vitalité remarquable, que l’Institut du Genre œuvre à dynamiser et à fédérer.

Une thématique fédératrice

Moment privilégié de dialogue entre disciplines et d’échanges sur les avancées, perspectives et défis du domaine, le Congrès s’est penché sur la forme des futurs et leur dimension genrée dans nos sociétés, présentes et passées, occidentales et extra-occidentales. Cela paraissait d’autant plus urgent que, depuis les débats sur « Genre et émancipation » en 2019, dans le contexte du mouvement #MeToo et des mobilisations féministes et LGBTQIA+, le contexte s’est alourdi, renouvelant les questionnements : la transformation de notre rapport à la mort, à l’intimité, aux autres depuis la récente pandémie ; l’effet des dérèglements environnementaux qui menacent de nombreuses populations sur tous les continents ; le retour de la guerre, déjà présente en plusieurs endroits du monde, sur le continent européen ; le bouleversement du rapport au temps ainsi que les attentes, espoirs et craintes qu’il est possible ou souhaitable d’y greffer.

Dans les travaux, le futur a été envisagé non seulement comme une projection scientifique et technique, modelée par les médias et les technologies, mais aussi comme un espace de réagencement de pratiques sociales ordinaires ou d’imaginaires. Les violences et rapports de force auxquels les mutations en cours ou passées se heurtent n’ont pas été négligés, par exemple dans l’accès aux droits et à la justice sociale, reproductive et sexuelle. Si les futurs sont des lieux d’expérimentation et de conscience de ce qui change, générant regrets d’un âge d’or ou volontés d’une table rase, ils ne constituent pas un horizon unifié. Ce sont des avenirs concurrents ou successifs, lourds de promesses ou de menaces, qui ont été au cœur des échanges. C’est le cas avec les utopies et dystopies qui traduisent doutes ou convictions face à des futurs genrés chargés d’exigences et de revendications, ou montrent comment les crises font système.

Le Congrès a ainsi mis au jour les efforts pour analyser, à partir de la situation des femmes et des rapports sociaux genrés, l’idée de soutenabilité des modèles de développement, comme y invite l’écoféminisme, qui dénonce l’articulation structurelle entre capitalisme et patriarcat, et auquel était consacrée la plénière de clôture. Elle a donné à voir comment les études de genre peuvent structurer nos futurs univers de recherche et de collaboration, entre sciences du vivant, sciences de l’environnement, de l’alimentation, de la santé ou du développement, ouvrant un espace de dialogues entre actrices et acteurs des politiques publiques, chercheuses et chercheurs, militantes et militants.

Des enjeux sociaux cruciaux et des regards croisés

Qu’il s’agisse de l’analyse des remises en cause du droit à l’avortement, des enjeux de santé ou d’inclusivité, des problématiques d’autonomie, de vieillissement et de vulnérabilités, de la façon dont la croissante fluidité des identifications interroge la co-construction du genre et de la sexualité, des liens historiques entre féminisme et pacifisme, renouvelés avec la diffusion du terme de féminicide, de l’impact du télétravail sur les rapports à l’emploi, à l’éducation et à la formation, des reconfigurations linguistiques ou culturelles pour créer et dire les possibles dans leur complexité, des enjeux mémoriels ou des échelles d’analyse — du transnational et des territorialités mondiales en réseaux au (micro-)local —, de l’intégration des femmes dans les sciences, de l’articulation entre recherche et mobilisations, le Congrès a démontré une nouvelle fois la transversalité du concept clé de genre pour comprendre nos sociétés.

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Exposition sur les études de genre à Toulouse © Héloïse Humbert

S’il s’agit de travailler pour la société, il s’agit aussi de travailler avec elle. Le Congrès a tenu à ménager des temps spécifiques pour les échanges avec la société civile, laissant la parole à des associations représentant la diversité des engagements dans le domaine du genre et des sexualités. Le riche programme culturel a aussi permis de mettre en avant les différentes modalités de dissémination et d’écriture du savoir, du côté de la recherche-action et de la recherche-création. Les autrices et auteurs, Wendy Delorme/Stéphanie Kunert ou Jack Halberstam, s’en emparent résolument pour penser les transidentités en voix propres, mettre fin aux silences imposés, dénoncer les violences faites aux femmes, interroger le rôle que joue la fiction pour imaginer des avenirs queer ou anticiper de futures épistémologies de la sexualité.

Le Congrès ne pouvait, du reste, faire l’impasse sur l’avenir des activités de la communauté réunie à Toulouse. Deux tables rondes y ont été dédiées : l’une consacrée aux violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche, en lien avec la Conférence permanente des chargées de mission égalité et diversité, l’autre au futur de nos disciplines, aux luttes politiques et libertés académiques, question vitale face à l’ampleur prise par les mouvements anti-genre à travers le monde. Il s’y est agi de savoir comment le monde de la recherche et l’université peuvent demeurer les lieux de construction d’un savoir critique et d’un débat libre et pluriel, tout en offrant des conditions d’études et de réflexion garantissant l’intégrité de toutes et tous. Cet examen a aussi été nourri d’expositions, retraçant les moments marquants, les laboratoires et les figures des études de genre, qui ont une longue histoire en particulier à Toulouse, ou présentant les principales revues du champ, Clio, Les Cahiers du Genre, Genre, sexualité & société, Travail, Genre et Société, GLAD ! — exposition qui sera visible à l’Humathèque du Campus Condorcet à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes le 8 mars 2024.

Le 3e Congrès de l’Institut du Genre, que le film de la réalisatrice Barbara Wolman permettra d’ajouter aux archives du futur, confirme la nécessité du concept pour saisir le réel dans toutes ses dimensions, en impliquant les communautés d’historiennes, juristes, sociologues, anthropologues, géographes, économistes, philosophes, politistes, démographes, littéraires, spécialistes d’études aréales ou des médias et toutes les personnes qui œuvrent à explorer son rôle dans l’ensemble des champs, ambition d’envergure pour le présent comme le futur.

Anne Isabelle François, Marc Pichard, GIS Institut du Genre

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