Se déplacer dans les périphéries des villes africaines : les taxis clandos de Dakar

Résultats scientifiques Sciences des territoires

Réfléchir à la fabrique des mobilités urbaines en Afrique subsaharienne : tel est l’objet des travaux menés dans le cadre d’un partenariat entre le Laboratoire Aménagement Économie Transports et l’Institut de Gouvernance Territoriale et du Développement Local de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. À partir de l’étude des taxis clandestins de Dakar, l’équipe de recherche analyse les conditions de production et le rôle du transport informel. Dans la capitale sénégalaise, désignée « ville-pilote » en matière de transport, le transport informel assure toujours une part importante des déplacements motorisés, en particulier en périphérie. Des enquêtes de terrain ont eu lieu en 2021 et 2022 pour caractériser le fonctionnement des taxis clandos et de leurs usages. Ces travaux ont donné lieu, en juin 2022, à une première publication.

Cette recherche est initiée par Gaële Lesteven et Pascal Pochet, chargés de recherche du développement durable au sein du Laboratoire Aménagement Économie Transports (LAET, UMR5593, CNRS / École nationale des travaux publics de l'État / Université Lumière Lyon 2). Elle est menée en partenariat avec Pape Sakho, enseignant-chercheur au département de géographie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), Momar Diongue et Dramane Cissokho, directeur et membre de l’Institut de Gouvernance Territoriale et du Développement Local à l’UCAD. Financée par l’ENTPE, cette recherche vise à alimenter la réflexion sur la fabrique des mobilités urbaines. Les villes des Suds, en particulier d’Afrique subsaharienne, connaissent une dynamique de croissance importante qui se traduit par une forte expansion spatiale et des conditions de vie souvent précaires dans les périphéries. Dans ce contexte, où l’accès à la voiture particulière reste l’apanage des ménages aisés, les systèmes de transport public jouent un rôle fondamental dans l’accès à la ville. Des réseaux de transport de masse comme le BRT (bus à grande capacité circulant sur voie réservée) ou le métro sont en construction dans différentes villes pour répondre à cette demande croissante. En parallèle, le transport informel continue d’assurer une part importante des déplacements motorisés.

Le transport informel a un fonctionnement souple, le plus souvent sans horaires ni durées de service fixes. Il est produit par de nombreuses petites entreprises privées sans obligation contractuelle envers une autorité de régulation. Il adopte une variété de formes selon les villes, des motos-taxis en plein essor aux minibus et bus, en passant par les taxis collectifs. Présents dans de nombreuses villes d’Afrique subsaharienne, les taxis collectifs clandestins sont relativement méconnus dans leur organisation. Leur présence et leur développement à Dakar soulève un paradoxe : quelle est leur place dans une agglomération désignée comme « ville-pilote » en matière de transport ?

Depuis la fin des années 1990, la capitale du Sénégal mène une politique de modernisation et de renforcement de l’offre de transport avec le soutien de la Banque mondiale. Une autorité organisatrice des transports a été créée et un programme volontariste de formalisation des opérateurs de minibus par renouvellement subventionné des véhicules a été mis en œuvre. La restructuration de l’offre de transport public se poursuit actuellement avec l’inauguration fin 2021 d’une ligne de Train Express Régional (TER) et la construction d’une ligne de BRT.

Absents des documents officiels, les taxis clandos occupent pourtant l’espace public, en particulier à travers leurs itinéraires fixes et leurs lieux de prise en charge, les « garages ». Sans possibilité de régularisation, ils répondent à des besoins de déplacements structurels dans les périphéries dakaroises. L’enjeu est d’analyser l’inscription spatiale et sociale de ce mode et d’examiner ses modalités de gouvernance.

Ce travail mobilise plusieurs jeux de données : des analyses secondaires de l’enquête ménages mobilité de Dakar (EMTASUD 2015) et un travail de terrain mené lors deux missions en 2021 et 2022. Plusieurs enquêtes ont été réalisées lors de ces missions :

  • Un recensement des garages de taxis clandos et un questionnaire sur leur organisation ;
  • Des enquêtes, par questionnaire et entretiens, auprès des chauffeurs de taxis clandos ;
  • Une enquête par entretien auprès d’usagers de taxis clandos.

Si les résidents des périphéries se déplacent principalement à pied, une part importante de leurs déplacements en transport public est réalisée en taxi clando. Les premiers résultats de la recherche font apparaître le double rôle du taxi clando :

  • D’une part, les habitants des périphéries utilisent le taxi clando pour des déplacements longs vers le centre, parfois en concurrence des bus, mais le plus souvent de manière complémentaire, en rabattement, principalement pour des motifs domicile-travail.
  • D’autre part, ils y ont recours pour des déplacements de moyenne portée, internes à la périphérie, pour des motifs très variés, liés à la vie quotidienne (achats, santé, sociabilité) et professionnelle.

Au vu de la diversité des fonctions que le taxi clando assure, la place marginale de « mode terminal » que les pouvoirs publics lui assignent dans le meilleur des cas paraît réductrice. Elle ne permet pas d’en tirer le meilleur parti dans la perspective d’un développement urbain plus polycentrique et équilibré. Plus largement, ce cas dakarois contribue à alimenter des réflexions sur le rôle et la gouvernance de l’informalité dans les transports urbains, dans les villes des Suds mais aussi au Nord.

Garage de Clandos, département de Rufisque, région de Dakar © G. Lesteven, mai 2022

Référence

Lesteven G., Cissokho D., Pochet P., Diongue M., Sakho P. 2022, Mobilité quotidienne dans les périphéries urbaines. Le rôle des taxis clandestins à Dakar. 58e colloque ASRDLF, ASRDLF - Sciences Po Rennes, juin 2022, Rennes, France. 17 p.

Lesteven G., Cissokho D., Pochet P., Diongue M., Sakho P. 2022, Daily mobility in urban peripheries: The role of clandestine taxis in Dakar, Senegal, Sustainability, 14, 6769.

Objectifs de Développement Durable

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Cette recherche contribue particulièrement à la réflexion sur la cible Transports sûrs, accessibles et viables de l’objectif 11 « Villes et communautés durables », ainsi que sur la cible Accès aux ressources de l’objectif 1 « Pas de pauvreté ».

Contact

Gaële Lesteven
Chargée de recherche du développement durable, Laboratoire Aménagement Économie Transports
Pascal Pochet
Chargé de recherche du développement durable, Laboratoire Aménagement Économie Transports