STUCCO. Les stucs des nécropoles romaines de Pouzzoles (Campanie, Italie)

Lettre de l'InSHS International Archéologie

#À L'HORIZON

Financé par la bourse européenne Marie Skłodowska Curie, STUCCO est un projet de recherche archéologique conduit par Dorothée Neyme, du 1er octobre 2022 au 30 septembre 2024, sous la supervision d’Évelyne Prioux, directrice de recherche CNRS au sein de l’équipe LIMC-ESPRI du laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité (ArScAn, UMR7041, CNRS / Université Paris Nanterre / Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / Ministère de la Culture). La candidature à la bourse postdoctorale Marie Skłodowska Curie de STUCCO a été préparée durant une masterclass organisée au sein de l’unité ArScAn, en collaboration avec la MSH Mondes (UAR3225, CNRS / Université Paris Nanterre / Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et coordonnée par Cécile Michel, directrice de recherche CNRS.

STUCCO étudie les stucs des tombeaux romains de Puteoli (actuelle Pozzuoli), une ville portuaire située à quelques kilomètres de Neapolis (actuelle Naples) qui était le port impérial des premiers siècles de l’Empire. La ville cosmopolite était bouillonnante de vie et riche d’imposants monuments publics (dont un temple, un marché, un cirque et deux amphithéâtres !) qui sont parfois encore visibles, comme c’est le cas des grandes nécropoles antiques flanquant les voies principales qui desservaient la ville. Les vestiges de ces tombeaux monumentaux, exceptionnellement bien conservés, étaient déjà connus et admirés à la fin du XVIe siècle. Les plus beaux étaient décorés de bas-reliefs en stuc, un enduit composé de sable, de chaux et de poudre de marbre, qui peut être moulé ou modelé, laissé blanc, peint ou teinté dans la masse et qui, dans l’Antiquité, servait à décorer notamment l’intérieur des maisons, des thermes, ou encore des tombeaux. Ces décors, localisés sur les murs, les édicules (avant-corps maçonnés placés au centre des parois) et les plafonds représentaient surtout des personnages en action : des petits amours chevauchant des animaux fantastiques, des femmes dansantes, des dauphins bondissants ou encore des épisodes mythologiques. Au XVIIIe siècle, les guides touristiques de Pouzzoles documentent notamment les somptueuses décorations visibles à l’intérieur des grands colombaria ― une typologie architecturale destinée à accueillir des urnes cinéraires dans des petites niches creusées dans les murs. Les stucs de Pouzzoles suscitent alors l’intérêt des collectionneurs et la publication des planches d’illustration gravées qui accompagnent les descriptions marque leur apparition sur le marché des antiquités (Figure 1). Rapidement, les commandes s’enchaînent, les décors sont découpés, les tombeaux défigurés et les stucs éparpillés. Ils se retrouvent dans la collection du roi de Naples, à Portici, ou dans des collections privées comme celle de Sir William Hamilton, ambassadeur britannique à Naples de 1764 à 1800.

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Gravure de Giovan Battista Natali représentant le décor de stuc à l’intérieur d’un monument funéraire situé à San Vito à Pouzzoles (Paoli P. A. 1768, Antichità di Pozzuoli. Puteolanae antiquitates. Avanzi delle antichità esistenti a Pozzuoli, Cuma e Baia, Napoli, pl. XXXIV).

Ces stucs, qui constituent le cœur de ma recherche, sont aujourd’hui conservés dans les plus grands musées européens : le British Museum en Angleterre1 , le Musée archéologique national de Naples (MANN) en Italie2  et le Louvre en France3 . Nous en avons recensé plus de soixante-dix ; ils sont exposés en vitrine (Figure 2) ou, pour la plupart, entreposés dans les réserves des collections et transformés en petits tableaux sertis d’un cadre en bois (Figure 3). Ce matériel offre une perspective rare et très intéressante sur l’histoire de l’art et de l’artisanat des premiers siècles de l’Empire romain, car le stuc est un matériau fragile, souvent retrouvé en mauvais état de conservation et qui, de plus, a longtemps été occulté par les études de décors plus spectaculaires, de peintures murales ou de mosaïques romaines.

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Stucs de Pozzuoli provenant de la collection Hamilton exposés dans une vitrine du British Museum (pièce 70) (D. Neyme, 2014).

STUCCO ouvre donc une fenêtre d’étude sur la vie de ces décors, de leur création dans l’Antiquité jusqu’à leur fortune actuelle. Le programme de recherche vise trois objectifs scientifiques principaux :

  •  Le premier est de définir le répertoire iconographique de ces stucs. Ce travail se fera en lien étroit avec l’équipe du LIMC, référence mondiale pour l’étude iconographique antique, qui gère les ressources numériques du Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae (LIMC). Grâce à l’utilisation du logiciel Omeka, ces informations alimenteront une base de données (gérée par Heurist) qui sera accessible à tous et au plus près des principes FAIR (Facile à trouver, Accessible, Interopérable, Réutilisable).
  • Le deuxième se propose d’étudier le savoir-faire artisanal spécifique aux ateliers de Pozzuoli, remarquable pour la qualité de ses productions, et qui affiche des points communs avec les plus belles productions de l’Urbs.
  • Enfin, le dernier plonge dans l’histoire des collections, les correspondances et les archives de l’époque du Grand Tour, pour reconstituer la biographie des décors et comprendre, notamment, comment ils sont rentrés dans les collections muséales.

Le croisement des informations obtenues (sur la stylistique, les propriétés physiques, les données issues des archives) permettra in fine de recontextualiser les stucs en repérant les tombes encore en élévation d’où ils ont été prélevés4 .

Dans cette aventure scientifique, une collaboration de trois mois est programmée avec l’équipe du CReA-Patrimoine de l’Université libre de Bruxelles (ULB), qui constitue l’accueil secondaire de STUCCO (sous la supervision de Sébastien Clerbois, professeur à l’ULB). Ensemble, nous nous pencherons sur les aspects technologiques en utilisant des méthodes non-invasives (macros images, photogrammétrie, photographie RTI) ; nous mettrons en évidence les traces de travail, la composition des enduits et les éventuels reliefs et couleurs invisibles à l’œil nu. Une réflexion sur les protocoles de conservation du stuc dès sa trouvaille sera engagée afin de proposer une méthodologie à appliquer sur le terrain.

Un autre accueil secondaire est établi avec le musée et site de Saint-Romain-en-Gal (sous la supervision de sa directrice Émilie Alonso), pour travailler sur la valorisation de ces découvertes archéologiques. Les stucs de Pouzzoles actuellement dispersés seront réunis en une collection virtuelle en ligne qui sera accessible à tous. Pour la première fois depuis leur extraction de leur contexte d’origine, les stucs formeront à nouveau un ensemble cohérent, devenant ainsi l’une des plus importantes collections de stucs romains.

Tout au long de ces deux ans, des rencontres pour le grand public seront organisées en France, en Belgique et en Italie afin de valoriser ce patrimoine méconnu et de sensibiliser à sa protection. Un workshop sur le stuc dans l’Antiquité sera organisé au début de l’année 2024 pour faire un point sur les méthodologies et présenter les nouveautés : il réunira des spécialistes et des jeunes chercheurs et chercheuses.

En développant des liens entre différentes institutions (universités et musées) de différents pays (France, Belgique, Italie et Angleterre dans notre cas), STUCCO reflète la politique du programme Horizon Europe des actions Marie Skłodowska-Curie, qui consiste à encourager la mobilité des chercheurs et chercheuses entre pays et disciplines. Plus généralement, STUCCO s’inscrit dans la dynamique des recherches actuelles où, plus que jamais, l’union fait la force. Ces liens constitueront les bases de futures collaborations autour de la recherche sur le stuc avec l’ambition de relancer les études dans ce domaine pour lequel très peu de spécialistes sont encore en activité à l’échelle mondiale.5

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Stuc provenant d’un monument funéraire de Pouzzoles (N° inv. MANN 9626) conservé dans les réserves archéologiques du MANN (D. Neyme, 2016).
 
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STUCCO. Stuccoes from the Roman necropolises of Pozzuoli (1st-3rd century CE, Campania, Italy). This project has received funding from the European union’s Horizon 2020 research and innovation programme under the Marie Sklodowska-Curie grant agreement No 101,066,898.

 

  • 1Ling R. 1999, Some Roman Stucco Reliefs from Pozzuoli now in the British Museum, in Ling R., Stuccowork and Painting in Roman Italy, Haldershot, Ashgate, pp. 24-34, pl. VII-XI.
  • 2Neyme D. 2020, Les stucs des tombes monumentales romaines de Pouzzoles conservés au Musée Archéologique National de Naples (MANN), in Giulierini P., Coralini A., Sampaolo V. (a cura di), Picta Fragmenta. La pittura vesuviana, una rilettura, Naples 13-25 sept. 2018, pp. 67-73.
  • 3Tran Tam Tinh V. 1974, Catalogue des peintures romaines (Latium et Campanie) du Musée du Louvre, Éditions des Musées Nationaux, Paris.
  • 4R. Ling a effectué ce travail pour les stucs du British Museum : Ling R. 1970,The San Vito Tomb at Pozzuoli, in PBSR 38, 153 et ss.
  • 5Parmi les spécialistes du stuc antique on citera : Blanc N. 1983, Les stucateurs romains : témoignages littéraires, épigraphiques et juridiques, in MEFRA, tome 95, n°2 : 859-907 ; Mielsch H. 1975, Römische Stuckreliefs (RM, Erg.-H. 21), Heidelberg ; Ling R. 1999, Stuccowork and Painting in Roman Italy, Aldershot, Ashgate ; plus récemment, Boislève J. 2017, Les stucs figurés en Gaule, Context and Meaning, Proceedings of the twelfth International Conference of the Association Internationale pour la Peinture Murale Antique, Athens, September 16-20, 2013, AIPMA, Sept 2013, Leuven, Pays-Bas. pp. 465-470.

Contact

Dorothée Neyme
Archéologue, Archéologies et Sciences de l'Antiquité (ArScAn)

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