Trois questions à Grégoire Borst et Nicolas Vibert, sur le RTP Recherches autour des questions d’Éducation

Lettre de l'InSHS

#TROIS QUESTIONS À...

Grégoire Borst est professeur de psychologie du développement, membre de l’Institut Universitaire de France et directeur du Laboratoire de Psychologie du Développement et de l’Éducation de l’enfant (LaPsyDE, UMR 8240, CNRS / Université Paris Cité). Nicolas Vibert est directeur de recherche au CNRS et Directeur du Centre de Recherches sur la Cognition et l’Apprentissage (CeRCA, UMR 7295, CNRS / Université de Poitiers). Tous deux sont co-responsables du réseau thématique pluridisciplinaire (RTP) du CNRS Recherches autour des questions d’Éducation.

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Dans une école du village d’Aghien-Télégraphe, près d’Abidjan en Côte d’Ivoire, cet instituteur échange avec ses élèves sur la protection des ressources naturelles qui leur sont proches.
Cette image est lauréate du concours La preuve par l’image 2021 © Jean-François Humbert / IEES / CNRS Photothèque

Comment vous êtes-vous organisés pour réunir les équipes qui étaient dans le champ du RTP ? Quelle méthodologie avez-vous adoptée ? Quels axes scientifiques avez-vous identifiés ? Comment vous impliquez-vous dans les réflexions sur le programme prioritaire de recherche (PPR) Éducation et le Programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) Enseignement et numérique actuellement en préparation, ainsi que sur les inégalités éducatives définies comme un défi du contrat d’objectifs et de performance du CNRS ?

Dans le courant de l’année 2019, l’Institut des sciences humaines et sociales (InSHS) du CNRS, auquel s’est associé l’Institut des sciences biologiques (INSB) du CNRS, a souhaité mettre en place un RTP destiné à cartographier les recherches menées autour des questions d’éducation dans les unités mixtes de recherche (UMR) du CNRS. La création de ce RTP manifestait une volonté de fédérer ces recherches, qui relèvent de nombreuses disciplines différentes et sont dispersées dans de très nombreuses UMR. Suite à cette sollicitation, nous avons identifié au sein des différents instituts du CNRS1 , avec l’aide de Marie Gaille, directrice de l’InSHS, et de Bernard Poulain, directeur adjoint scientifique de l’INSB, soixante-sept unités où étaient menées des recherches en lien avec l’éducation. Nous avons adressé aux directions de ces unités un courrier leur proposant d’intégrer le RTP et de participer à une réunion de lancement organisée en février 2020.

Lors de cette réunion, où la majorité des soixante-cinq unités ou instituts de recherche finalement membres du RTP étaient représentés, quatre axes scientifiques ont été définis, avec la volonté explicite que chaque axe soit multidisciplinaire. Ces quatre axes sont les suivants :

  • Inégalités éducatives
  • Politiques éducatives comparées (organisation et professions, instruments et évaluation)
  • Pratiques et dispositifs pédagogiques (face aux données)
  • Penser le lien avec le terrain scolaire

Deux programmes pluriannuels de financement des recherches en éducation ont été lancés dans le cadre des programmes d’investissement d’avenir (PIA3 et PIA4) : le PPR Éducation, piloté par le CNRS et par l’Université de Poitiers, dont Grégoire Borst est l’un des porteurs, et le PEPR Enseignement et Numérique piloté par le CNRS, l’Inria et Aix-Marseille Université. Nous présentons régulièrement aux membres du RTP l’état d’avancement de ces programmes, et les journées d’étude qui ont été organisées en 2020 et 2021 par les porteurs des différents axes du RTP sont venues nourrir les réflexions engagées dans le cadre de ces programmes. Les contacts entre chercheurs, chercheuses et laboratoires de différentes disciplines noués dans le cadre du RTP préparent la voie à l’élaboration de réponses communes aux appels d’offres qui seront lancés dans le cadre du PPR et du PEPR. Lors de la dernière réunion plénière du RTP en novembre 2021, nous avons invité les responsables de l’équipement structurant pour la recherche « Innovation, données et expérimentations en éducation », financé dans le cadre du PEPR Enseignement et Numérique à présenter les objectifs et les possibilités de cet outil. Cette présentation a donné lieu à des échanges qui vont nourrir la réflexion sur la mise en place de cet Equipex+.

Concernant la question des inégalités éducatives enfin, l’axe 1 du RTP, centré sur cette thématique, a organisé deux journées d’étude interdisciplinaires où différentes visions des inégalités éducatives ont été confrontées. Sur la base de ces travaux, nous avons participé, à la demande de la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (MITI) du CNRS et d’Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS, à la rédaction de l’appel à manifestations d’intérêts sur les inégalités éducatives. Pour contribuer aux réflexions du CNRS sur les inégalités éducatives, nous envisageons de publier d’ici un an un ouvrage collectif, qui regrouperait dans un même volume des contributions issues de différentes disciplines scientifiques centrées sur cette question.

Pouvez-vous nous faire un panorama des principales évolutions observées depuis deux ans sur ces thématiques ?

La mise en avant par le CNRS de la thématique des inégalités éducatives s’accompagne, depuis 2020, d’évolutions politiques majeures dans la structuration et la diffusion des recherches menées autour des questions d’éducation. Sous l’impulsion des grands organismes de recherche et du Conseil Scientifique de l’éducation nationale (CSEN), l’importance de la formation et de l’acculturation à la recherche des enseignants, des enseignantes et des cadres de l’Éducation nationale est mise en avant. En effet, la recherche en éducation reste en France peu diffusée sur le terrain, et les acteurs du système éducatif ont du mal à concevoir des organisations efficientes fondées sur les résultats de recherche, à mesurer l’impact des dispositifs et des pratiques pédagogiques, à recourir à la recherche pour analyser leurs pratiques professionnelles.

Cette évolution s’accompagne d’une réflexion sur l’importance d’utiliser des méthodes scientifiques pour faire progresser les pratiques pédagogiques. Ce mouvement, appelé « éducation fondée sur des données probantes », ou evidence-based education, se propose d’évaluer par des méthodes rigoureuses les effets de différentes pratiques pédagogiques. Une recherche translationnelle en éducation commence à émerger, à l’interface entre la recherche fondamentale et sa mise en application pratique dans les classes (voir à ce sujet le rapport du CSEN publié en 2021).

L’appel à projets du PIA3 pour le financement de pôles pilotes de formation des enseignants et de recherche en éducation a permis d’identifier et de financer trois projets (à Amiens, Grenoble et Marseille), qui testent à l’échelle de grandes régions différentes solutions destinées à accélérer le transfert des résultats de la recherche vers la formation des enseignants. Il s’agit aussi de faciliter l’expérimentation et la diffusion des meilleures pratiques pédagogiques dans les établissements scolaires, en lien étroit avec les services académiques.

Dans le cadre du RTP enfin, nous menons une réflexion sur les différentes épistémologies disciplinaires en jeu dans les recherches autour des questions d’éducation. En effet, les différentes disciplines de recherche qui abordent ces questions ont des conceptions et des pratiques de la recherche très différentes, et la mise en place de collaborations interdisciplinaires nécessite de confronter ces différents points de vue pour aboutir au consensus nécessaire pour un travail en collaboration.

Qu’envisagez-vous pour l’avenir ? Quels seront, selon vous, les enjeux principaux de ces prochaines années autour de l’éducation ?

Le RTP a vocation à se transformer dans l’année qui vient en groupement de recherche (GDR) du CNRS Recherches autour des questions d’Éducation pour permettre à des unités de recherche hors CNRS de venir rejoindre le réseau d’unités qui participent au RTP. Les quatre axes scientifiques du RTP constitueront le socle des axes scientifiques du GDR, sans exclure que d’autres axes scientifiques puissent émerger pour permettre de couvrir l’ensemble des recherches menées dans ce domaine. L’enjeu est de pouvoir maintenir la multidisciplinarité au sein des nouveaux axes qui seront proposés. Étant donné le très grand nombre d’unités de recherche qui mènent des travaux sur les questions relatives à l’éducation, le Conseil d’orientation stratégique du RTP a décidé d’identifier les unités les plus incontournables dans chacune des disciplines en prise avec les questions d’éducation, pour aboutir à un GDR d’une centaine d’unités de recherche. 

Les quatre grands enjeux pour l’éducation dans les années à venir sont selon nous :

  • la réduction des inégalités éducatives,
  • la place et l’utilisation du numérique dans les apprentissages tout au long de la vie,
  • la formation initiale et continue des enseignants du premier degré, du second degré et du supérieur,
  • l’éducation à la citoyenneté, au vivre ensemble et au changement climatique.

À travers ces quatre grands enjeux s’exprime une nécessité que l’éducation soit de nouveau en phase non seulement avec les grands défis auxquels nous sommes confrontées aujourd’hui, mais aussi avec ceux auxquels nous devrons faire face dans les décennies à venir. Pour répondre à ces enjeux, nous avons aujourd’hui besoin de recherches multidisciplinaires à grande échelle, qui combinent différentes approches méthodologiques, et qui associent plus fortement les différents acteurs de la communauté éducative pour qu’ils puissent se saisir des résultats de ces recherches afin de faire évoluer notre système éducatif. Le RTP, les dispositifs de financement de bourses doctorales et postdoctorales par la MITI dans le cadre du défi « Inégalités Éducatives » du contrat d’objectifs et de performance du CNRS, le co-pilotage des PPR et PEPR en lien avec l’éducation, permettent aujourd’hui au CNRS de soutenir différents types d’actions à même de répondre aux grands enjeux de l’éducation dans les années à venir.

  • 1Institut des sciences humaines et sociales (InSHS), Institut des sciences biologiques (INSB), Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions (INSMI), Institut des sciences de l'ingénierie et des systèmes (INSIS), Institut des sciences de l'information et de leurs interactions (INS2I).

Contact

Grégoire Borst
Professeur de psychologie du développement, Laboratoire de Psychologie du Développement et de l’Éducation de l’enfant
Nicolas Vibert
Directeur de recherche au CNRS, Centre de Recherches sur la Cognition et l’Apprentissage