Trois questions à Nina Koulikoff, Tomasz Doussot et Chloé Beaucamp, sur le métier d’éditeur au CNRS

Lettre de l'InSHS

Nina Koulikoff est éditrice à la Maison des sciences de l'Homme Mondes (UAR3225, CNRS / Université Paris Nanterre / Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), en charge des revues Justice spatiale|Spatial Justice (JSSJ) et Espaces et Sociétés. Tomasz Doussot est éditeur à la Maison des sciences de l'Homme Paris Nord (MSHPN, UAR3258, CNRS / Université Sorbonne Paris Nord / Université Vincennes Saint-Denis, en charge de la Revue d’histoire moderne & contemporaine (RHMC) et responsable de la pépinière de revues de la MSH. Chloé Beaucamp est éditrice au Centre international de recherche sur les esclavages et les post-esclavages (CIRESC, UAR2502, CNRS) en charge de la revue Esclavages & post~esclavages / Slaveries & Post~Slaveries et d'ouvrages monographiques.

Vous êtes investis sur plusieurs projets en parallèle : à quels endroits de la chaîne éditoriale placez-vous particulièrement vos efforts pour que la production soit de qualité ?

Nina Koulikoff – J’accompagne les comités des deux revues dont je m’occupe tout au long du processus de réalisation des numéros. Je ne gère pas directement les échanges avec les évaluateurs et évaluatrices et ne reçois les articles qu’une fois scientifiquement validés. Néanmoins, suivre l’intégralité de la chaîne éditoriale me permet de déterminer comment professionnaliser les pratiques pour les alléger et les rendre plus efficaces. Travailler main dans la main avec les rédactions pour que les contenus répondent à des critères qualitatifs exigeants est une part essentielle du travail de l’éditeur.

Pour moi, un éditeur est un trait d’union entre l'auteur ou l'autrice/son texte et ses lecteurs et lectrices. En préparant avec attention les articles et en valorisant les échanges avec les auteurs pour obtenir une version finale de qualité, je me mets ainsi au service des textes. C’est pour moi le cœur de ce métier.

Tomasz Doussot – L’essentiel réside dans le travail de préparation et de relecture des articles car un changement, y compris mineur peut rapidement corrompre le sens d’une phrase et nuire grandement à la qualité intrinsèque d’un article. Dans une revue comme la Revue d’histoire moderne & contemporaine (RHMC), cela vaut aussi pour la vérification des sources qui sont des outils scientifiques déterminants. C’est un travail de fourmi qui n’est pas très visible. Les bonnes pratiques éditoriales sont d’autant plus difficiles à mettre en valeur et à faire comprendre… mais on se doit d’être précis et exigeant car nous exerçons une profession globalement normative. En cela, je sens qu’il y a un travail général de pédagogie à faire auprès d’autres personnes qui ne seraient pas des professionnels du livre car notre métier n’est souvent pas apprécié à sa juste valeur ou, quand il est décrit, il est souvent réduit au seul travail de secrétariat.

Chloé Beaucamp – Si la tenue de la périodicité est un impératif phare pour des raisons liées à la bonne marche des rédactions et à la survie des revues, le cœur de notre métier reste dédié à la production de contenus de qualité, conformes aux exigences de la publication scientifique en général et à celles, plus spécifiques, de la ligne éditoriale « maison ». Il s’agit de jouer un rôle de « veilleur » dès l’amont de la production pour identifier les points problématiques au plus tôt : vérification des autorisations de reproduction et de représentation des images, du calibrage (globalement) correct des contenus… En aval, une attention toute particulière est portée au travail de relecture. C’est là qu’intervient pleinement la capacité de l’éditeur à entrer en résonance avec la politique scientifique de la revue : de l’articulation du raisonnement au déroulement de la bibliographie, notre plus grand effort consiste selon moi à interroger le texte et son efficacité à transmettre les connaissances et le fruit des recherches de l’auteur.

D’après vous, qu’est-ce qui singularise votre travail autour du livre ou des revues en sciences humaines et sociales (SHS) au CNRS par rapport à d’autres agents travaillant dans l’édition publique de ce même segment ? Avez-vous le sentiment d’avoir dû particulièrement vous spécialiser ou vous adapter ?

Nina Koulikoff – Cela ne fait qu’un an que je travaille dans l’édition publique et spécialement auprès de revues de SHS. Je suis donc encore dans une phase de découverte de cet environnement qui diffère de l’édition privée dans laquelle je travaillais auparavant.

Je m’adapte à chaque revue, à chaque comité, à chaque numéro… Personnellement, je trouve très enthousiasmant de collaborer étroitement avec des chercheuses et chercheurs motivés et volontaires pour faire vivre les revues et améliorer les textes publiés. J’ai la chance d’avoir rejoint un pôle éditorial, où je bénéficie des conseils et de l’expérience d’autres professionnels de l’édition. C’est pour moi un avantage non négligeable. De plus, la Science ouverte telle qu’elle est mise en œuvre dans l’édition publique fait écho à des convictions personnelles et m’a permis de donner davantage de sens à mon métier. J’apprécie vraiment beaucoup de pouvoir travailler dans l’édition scientifique publique, et plus particulièrement au CNRS, et de continuer à évoluer professionnellement dans ce contexte qui répond ainsi à des enjeux éditoriaux et scientifiques majeurs.

Tomasz Doussot – À ma prise de fonction à la MSH Paris-Nord, outre la RHMC, on m’a également proposé de coordonner la pépinière de revues de la MSH1 . La pépinière de la MSH Paris Nord est un service local en deux volets proposé aux revues, qu’elles soient destinées à rejoindre ensuite une plate-forme nationale ou non. Elle leur offre un hébergement sur serveur sous CMS Lodel ainsi qu’un accompagnement doublé d’un conseil éditorial professionnel personnalisé vers la Science ouverte.

Cela a apporté une dimension tout à fait passionnante à mon métier : je m’occupe tout aussi bien d’une revue assez traditionnelle et bien implantée dans son champ académique comme la RHMC, que de revues électroniques naissantes en accès ouvert immédiat. Cette grande diversité enrichit ma réflexion et me permet d'avoir une perspective très riche du secteur éditorial public. Dans mes fonctions, j’entreprends des projets, je dédie une part plus active encore de mon temps de travail à des réseaux professionnels comme Repères ou Médici. Le travail de veille sur l’édition scientifique publique et sur des débats qui l’entourent fait pleinement partie de mon activité. J’ai d’ailleurs beaucoup appris sur ces sujets depuis que je suis au CNRS.

Chloé Beaucamp – Au CNRS, l’éditeur est implanté soit dans des pôles éditoriaux, où il côtoie ses homologues et d’autres métiers destinés à valoriser les produits de la recherche (chargés de communication, responsables humanités numériques, documentalistes, etc.), soit directement dans des unités de recherche, où il endosse potentiellement plusieurs casquettes et assure un rôle d’interface au sein d’une communauté de recherche. J’ai la chance d’avoir expérimenté ces deux configurations : la première au sein du pôle éditorial de la MSH Mondes (alors dénommée Maison archéologie et ethnologie, René-Ginouvès), la seconde au cœur du Centre international de recherches sur les esclavages & post-esclavages (CIRESC, une unité de service et de recherches). Dans les deux cas, l’éditeur est un expert métier central dans la vie de la rédaction, en interaction étroite avec la rédaction en chef et le comité scientifique qu’il doit être capable d’éclairer sur les problématiques éditoriales, des questions techniques les plus pointues aux aspects stratégiques les plus larges. Ce rôle de pivot diffère du fonctionnement plus segmenté qui se pratique dans l’édition privée, où l’éditeur travaille main dans la main avec les divers corps de métier du livre (graphistes, iconographes, chargés de fabrication…).

Dans l’exercice quotidien de vos fonctions pour le CNRS, sur quels types d’activités la Science ouverte a-t-elle le plus de répercussions ?

Nina Koulikoff – Les deux revues aux côtés desquelles je travaille s’inscrivent dans la Science ouverte à des niveaux différents et ce, de longue date. L’une d’elles, Justice spatiale|Spatial Justice (JSSJ), a même été plutôt pionnière en la matière en choisissant l’accès ouvert immédiat dès son premier numéro, il y a plus d’une dizaine d’années. Les membres des comités de rédaction de ces revues sont très engagés et, ensemble, nous étudions les implications de la Science ouverte sur leur modèle. Si JSSJ est électronique et en accès ouvert, l’autre revue, Espaces et Sociétés, est papier et numérique et éditée par Érès, un éditeur privé. Pour cette dernière, par exemple, nous envisageons que je réalise la composition, grâce à la chaîne d’édition structurée Métopes, pour réduire et transférer le coût de la mise en pages actuellement exécutée dans le privé. Cela se répercuterait sur celui de la conversion des contenus en format XML pour leur diffusion numérique et devrait significativement aider la revue à prendre le chemin d’un accès encore plus ouvert. L’adoption de contrats de cession de droits en accord avec les principes actuels de la Science ouverte est également l’un des futurs chantiers pour les deux revues ! Cette réflexion commune, menée au service de la diffusion de savoirs de qualité et d’une transition réaliste vers la Science ouverte, est enrichissante sur le plan intellectuel et professionnel.

Tomasz Doussot – Grâce à la veille, je reste toujours attentif aux nouvelles pratiques liées à la Science ouverte dans d’autres revues que celles aux côtés desquelles je travaille, et cela va jusqu’aux moyens de communication qu’elles adoptent. Dans cette perspective, toucher un public plus large participe aussi de la mise en valeur de travaux scientifiques. Je vois cette recherche d’ouverture à un public plus large comme une mission éditoriale à part entière. La pépinière me permet également d’accompagner la création de revues en accès ouvert immédiat. Mon rôle y est de les sensibiliser aux standards et aux bonnes pratiques (comme les principes FAIR2), de leur offrir un hébergement sur les serveurs de la MSH dans les meilleures conditions possibles et de les aider, quand elles sont arrivées à ce degré de maturité, à instruire et à rédiger leurs dossiers d’entrée sur des plateformes nationales comme OpenEdition.

Chloé Beaucamp – Les critères d’ouverture ont été déterminants dans la fondation de la revue Esclavages & post~esclavages / Slaveries & Post~Slaveries. Dès mon arrivée au CIRESC en 2017, c’est en tenant compte de ces impératifs qu’avec les porteurs scientifiques de ce projet, nous avons établi conjointement le cahier des charges de la publication. Elle paraît désormais deux fois l’an sur la plateforme OpenEdition Journals en libre accès. Il nous a également tenu à cœur de proposer aux auteurs un contrat de cession de droit qui accompagne cette logique d’ouverture en adoptant bien sûr le régime des licences Creative Commons. S’aligner sur ces principes éditoriaux ouverts présuppose en fait, très concrètement, que la production soit d’autant plus bordée par un expert métier d’un bout à l’autre de la chaîne, sous l’impulsion d’une équipe scientifique (rédaction en chef et responsables de rubriques). C’est à mes yeux une coordination bien agencée qui permet d’envisager une publication multilingue à audience internationale comme Esclavages & post~esclavages / Slaveries & Post~Slaveries.

  • 1La pépinière de la MSH Paris Nord est un service local en deux volets proposé aux revues, qu’elles soient destinées à rejoindre ensuite une plateforme nationale ou non. Elle leur offre un hébergement sur serveur sous CMS Lodel ainsi qu’un accompagnement doublé d’un conseil éditorial professionnel personnalisé vers la Science ouverte.

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