Diffuser les recherches sur la participation

La revue Participations a été créée en 2011, à l’initiative d’un collectif de chercheurs et chercheuses dont la plupart étaient en tout début de carrière, avec comme directeur de publication un professeur de science politique plus confirmé, Loïc Blondiaux1 .

  • 1Professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre du Centre européen de sociologie et de science politique de la Sorbonne (CESSP, UMR8209, CNRS / EHESS / Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne).

Le champ des études sur la participation citoyenne était alors en pleine constitution, parallèlement au développement de dispositifs de démocratie participative et délibérative en France et à l’étranger. Ces dispositifs commençaient à être l’objet de savoirs experts, de politiques publiques spécifiques ; apparaissaient autour d’eux non seulement des nouveaux métiers, mais aussi des contestations, tant internes qu’externes. Créer un espace universitaire où pourraient se croiser études empiriques, mises en perspective théoriques ou historiques, et pourquoi pas comptes rendus plus engagés d’expériences participatives, était alors ressenti par les chercheurs et les chercheuses travaillant sur le sujet comme une nécessité, notamment pour donner à ces objets visibilité et légitimité, en lien avec d’autres initiatives. À ce titre, la création de la revue a été consécutive à la constitution du Groupement d’intérêt scientifique « Participation du public, décision, démocratie participative », aujourd’hui nommé « Démocratie & participation », qui a soutenu la revue depuis son lancement.

Si c’était une nécessité de créer une revue sur la participation, c’était aussi un défi. Car la participation citoyenne est toujours, et en partie à juste titre, l’objet d’un soupçon : celui de n’être qu’une simple source de légitimation pour les autorités, voire un écran de fumée venant masquer la réalité des processus de prise de décision. Dès lors, faut-il développer un regard critique, dénonçant les faux-semblants et les intérêts à l’œuvre dans ces dispositifs participatifs, au risque de saper la confiance dans des innovations démocratiques encore fragiles ? Ou se faire les défenseurs de la participation citoyenne, au risque de jouer les idiots utiles au service de ceux pour qui elle permet surtout d’éteindre la conflictualité et de diluer la responsabilité ? Le pari de la revue a été, et est encore, de ne pas trancher a priori, mais plutôt de prendre appui sur la productivité des différentes approches, en les laissant se déployer et parfois s’entrechoquer, toujours avec le souci de la rigueur propre à la recherche scientifique et au champ universitaire : plutôt qu’adopter ou rejeter l’idée de participation, essayer de prendre au sérieux l’idéal participatif, comme horizon normatif qui peut lui-même être objet de recherches parfois critiques, mais qui inspire en tout cas des expériences, des attentes, et souvent des controverses.
 
Depuis sa création, la revue a publié trente-six numéros, à raison de trois par an, avec presque toujours un dossier thématique et des varias, parfois des traductions, plus rarement des entretiens. Si les premières années, les dossiers étaient principalement dirigés par des membres du comité de rédaction ou du comité éditorial, et portaient sur des sujets directement liés à la démocratie participative, le spectre des thèmes et des personnes impliquées s’est progressivement élargi. L’enjeu, bien sûr, n’est pas de devenir une revue généraliste de telle ou telle discipline, car nous gardons un fort attachement à une approche par l’objet « participation démocratique », et à la pluridisciplinarité que cela permet, et dont la composition du comité de rédaction témoigne. Mais nous voulons aussi illustrer que les méthodes, les concepts et les enjeux de la participation démocratique permettent d’éclairer de nombreux pans de l’organisation politique et sociale, y compris là où on ne l’attendrait pas, comme la gestion de l’eau ou le maintien de l’ordre. Cette ouverture nous amène à recevoir de plus en plus de sollicitations pour publier des articles ou des dossiers, ce qui témoigne de notre attractivité et de la reconnaissance de la participation démocratique comme un champ d’enquête légitime.
 
Le but de créer un « espace commun pour les recherches sur la démocratie et la participation », pour reprendre les termes d’un article bilan réalisé par Guillaume Petit à l’occasion des dix ans de la revue, a donc été atteint. Mais nous sommes toujours confrontés à une question délicate, celle de la diffusion de nos travaux. Cette question concerne bien sûr l’ensemble des revues, et les débats entre partisans de l’accès ouvert et défenseurs du rôle des plateformes privées sont toujours intenses, avec l’intervention de myriades d’acteurs aux habitudes et aux intérêts parfois divergents (universitaires, travailleurs et travailleuses de l’édition, éditeurs privés, établissements de recherche, bibliothèques, État, Union Européenne). Cependant, s’agissant de participation démocratique, le problème s’avère d’autant plus aigu, puisque nos recherches portent sur des acteurs et actrices des mondes de la participation, ainsi que sur des citoyennes et des citoyens ordinaires, dont on peut supposer ou espérer que certaines et certains trouveraient un intérêt à nos travaux, mais n’y ont a priori pas facilement accès : la revue papier, éditée par De Boeck, n’a jamais été diffusée dans les librairies généralistes, et la version électronique est hébergée sur Cairn. Cela a longtemps signifié que nos numéros récents n’étaient accessibles qu’aux personnes bénéficiant d’un abonnement institutionnel à Cairn.

Notre ambition de diffuser à un public le plus large possible a néanmoins trouvé une récente et heureuse résolution avec l’inclusion, depuis début 2024, dans le programme « Souscrire pour ouvrir », développé par Cairn, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Couperin et l’Agence bibliographique de l'enseignement supérieur. L’idée est que les institutions publiques s’engagent à garantir à Cairn des revenus d’abonnements stables ; en échange, Cairn fait passer en accès ouvert les revues qui le souhaitent. S’il est encore trop tôt pour en voir les effets en termes de statistiques de consultation, il est certain que ce modèle permet à la revue de garder son lectorat universitaire, tout en ouvrant des possibilités de diffusion au-delà. Nous savons bien qu’il n’y a rien d’automatique : passer en accès ouvert ne garantit pas en soi un élargissement du lectorat. Mais cela en est une des conditions de possibilité, et nous entendons bien profiter de cette opportunité pour continuer à faire connaître les travaux universitaires sur la participation démocratique, et qui sait, peut-être contribuer à son approfondissement.

Samuel Hayat, pour la rédaction de la revue Participations