Politique européenne

La construction de l’Autre, Définir les « identités à la marge » dans l’espace européen, n°47, 2015

Sous la direction de Solenn Carof, Aline Hartemann et Anne Unterreine

Participant d'un mouvement général d'ouverture de la science politique française aux thématiques de l'intégration européenne, le projet des membres fondateurs de la revue Politique européenne s'articule autour de plusieurs ambitions : marquer l'appropriation du champ d'investigation communautaire par la science politique ; mettre à la disposition des observateurs et des acteurs de l'Union européenne une revue scientifique de qualité qui permette de faire le point sur les débats qui animent la recherche et qui éclairent d'un jour nouveau l'appréhension de la réalité communautaire ; contribuer à valoriser les échanges entre les universités et centres de recherche en France et à l'étranger. A travers des numéros spéciaux, Politique européenne présente une ligne rédactionnelle permettant d'établir le pont nécessaire entre théorie et pratique de l'Union européenne. 

Les événements tragiques de janvier 2015 en France ont révélé que la définition de l’identité française, de ce que veut dire le « Nous » et l’« Autre », n’était ni évidente, ni acceptée par tous. C’est ce jeu incessant de définitions entre le Nous et l’Autre qu’interroge ce numéro de Politique européenne, en prenant comme point d’appui les définitions nationales et européenne de cet Autre et en questionnant l’intérêt de saisir également la définition d’un Autre à l’intérieur même de l’espace national ou européen. Cependant, il s’agit moins de s’intéresser à la problématique de l’européanisation des politiques publiques ou à celle de l’identité européenne en tant que telles, que d’analyser comment et par qui sont définis les « individus à la marge » : Cette définition est-elle nationale ou l’Europe influence-t-elle ce processus ? Observe t-on une convergence sur cette définition entre les États membres de l’Union européenne analysés par les auteurs de ce numéro ? Comment les individus concernés réagissent-ils à cet étiquetage souvent stigmatisant ? Quatre types de relation entre le Nous et l’Autre ont ainsi été mis en évidence à partir des articles de ce numéro. Ils différencient ceux qui définissent et gèrent la frontière entre le Même et l’Autre et ceux qui sont étiquetés comme étant à la marge d’un, de plusieurs ou de tous les cercles sociaux. L’analyse de ces positionnements, que les auteurs décrivent grâce à des enquêtes empiriques, riches et variées, permet d’apporter une pierre à l’édifice des études portant sur les identités à la marge en Europe, en éclairant cette question au niveau national et européen, mais également au niveau des individus concernés.

Si l’intégration des immigrés a été pendant longtemps le quasi-monopole des États-nations, depuis dix ans l’Union européenne (UE) a obtenu de nouvelles compétences en la matière. L'article de Roxana Barbulescu analyse comment, en définissant l’intégration uniquement pour les citoyens des pays tiers, et en excluant de fait les citoyens européens, l’UE produit, à l’égard de ces derniers, un effet symbolique positif en les excluant de la catégorie « Autre ». Une telle redéfinition de l’intégration renforce à la fois la dimension culturelle et l’identité au cœur du projet européen.

Des cérémonies à l’attention des nouveaux citoyens ont été mises en place dans différents pays européens à partir des années 2000. Ces nouvelles pratiques illustrent une volonté politique de solenniser l’entrée dans la « communauté nationale » et matérialisent un « imaginaire national » contemporain. Romain Calba mène une étude comparative en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, et observe les représentations et pratiques contemporaines de cette identification nationale.

L'article de Lisa Vapné a pour objet de présenter la politique d’accueil spécifique menée en RFA, depuis 1991, à destination d’individus identifiés comme juifs par leurs papiers d’identité émis dans l’ex-Union soviétique. Cette politique a perduré au cours des années 2000, alors même que l’Allemagne s’éloignait de la prédominance de l’ethnicité dans sa définition de la nation. L’auteur interroge les catégorisations au sujet de l’accueil de ce groupe qui a fait l’objet de représentations positives retournées ensuite en formes de disqualification.

Antoine Saillard compare trois dispositifs de contrôle de la mobilité mis en place en France dans la seconde moitié du XIXe siècle, qui ciblent des populations spécifiques et en organisent leur relégation. Il observe le cas des vagabonds, individus et groupes exclus socialement et économiquement, tout en étant des nationaux. Par là, il questionne la construction de la figure de l’étranger dans la seconde moitié du XIXe siècle, il appréhende les mécanismes créateurs d'altérité et de marginalité et envisage les contours complexes et mouvants des deux termes d’une dialectique : le « Même » et l’« Autre ».

Émotionnel et peu rationnel, le rapport d’identification à une équipe de football issue de l’immigration turque révèle que l’expérience de la stigmatisation est constitutive d’un « Nous » qui cimente les relations sociales. L’approche qualitative de cet article de Pierre Weiss met en lumière ce que cette identification doit à la mobilisation d’expériences aux « marges » de l’espace social. L’enjeu est de montrer que les enquêtés usent de stratégies d’identification à contre-pied, la dimension tactique du stigmate servant de fondation à une construction identitaire « à rebours ».

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