La société des organisations

Lettre de l'InSHS Sociologie Science politique

En mai 2022 est paru La société des organisations aux Presses de Sciences Po. Cet ouvrage réunit des chapitres rédigés par les vingt-huit chercheurs et chercheuses du Centre de sociologie des organisations (CSO, UMR7116, CNRS / Sciences Po Paris). Il témoigne de la vitalité d’un laboratoire dont les recherches vont aujourd’hui bien au-delà de la question organisationnelle pour couvrir un large spectre d’objets, dans une approche pluridisciplinaire et multi-méthodes. Sociologues, politistes et historiennes de l’économie, du travail, du droit, des sciences, des mouvements sociaux, des professions, de l’État et de l’action publique, tous ont accepté de participer à un exercice collectif consistant à se pencher sur un constat simple mais édifiant : nous vivons dans une société saturée d’organisations.

Aucune dimension de nos vies aujourd’hui n’échappe, en effet, à une forme organisée : qu’il s’agisse des organisations formelles auxquelles nous appartenons ou avec lesquelles nous interagissons quotidiennement ; ou qu’il s’agisse des standards, procédures ou algorithmes, qui encadrent nos comportements, déterminent nos préférences, contraignent nos décisions. L’ensemble de nos actions quotidiennes est pris dans un dense réseau de processus organisés. Cela ne signifie pas que nous avons abandonné toute liberté de choix ; mais ces choix sont très largement inscrits dans des formes qui structurent nos préférences et nos capacités d’action.

L’ouvrage s’attarde sur les moteurs de cette prolifération organisationnelle, parmi lesquels figurent le droit (sur lequel reviennent Claire Lemercier et Jérôme Pélisse dans leur article), la révolution numérique (qu’abordent Kevin Mellet et Gwenaële Rot dans leur article), l’extension des professions, ou encore cette tendance contemporaine à ne penser la résolution des problèmes émergents qu’au travers de la création d’une organisation dédiée… laquelle s’ajoutant aux organisations existantes suscite des problèmes de coordination qui ne pourront être résolus qu’avec l’aide de nouvelles organisations (que décrivent très bien Patrick Castel et Léonie Hénaut dans leur article).

L’ouvrage souligne également tout l’intérêt qu’il y a à penser nos sociétés au prisme de cette profusion d’organisations. La lutte contre les inégalités (sur lesquelles portent l’article de Didier Demazière et Émilie Biland-Curinier), le réchauffement climatique ou les problèmes de santé publique ne relèvent pas uniquement, ni même principalement, de comportements individuels. Ce n’est pas en lisant des histoires à nos enfants le soir avant de se coucher, en prenant le vélo plutôt que la voiture pour aller travailler, ou en prenant l’escalier plutôt que l’ascenseur pour monter dans les étages, que nous allons lutter contre ces fléaux. L’erreur originelle des approches comportementales tient à ce qu’elles oublient que nos comportements ne sont pas dictés uniquement par nos préférences individuelles ou des déterminants macrosociaux, mais qu’ils sont inscrits dans des groupes sociaux et des formes organisées (comme le rappellent dans leur article Sophie Dubuisson-Quellier et Etienne Nouguez). Nous agissons aussi et surtout en fonction de nos interactions avec d’autres, qui déterminent nos préférences et nos décisions, non par souci de conformisme mais parce que nous évoluons dans des structures d’interdépendances complexes.

L’ouvrage insiste enfin sur l’intérêt qu’il y a à dépasser notre dépendance aux organisations. Durant la crise liée à la pandémie de Covid-19, la société française a su faire preuve d’innovation et d’adaptation, souvent en marge ou en dehors des formes organisées existantes. Des individus et des groupes ont su s’abstraire des règles et procédures encadrant leurs comportements et interactions, ils ont su trouver ou retrouver des formes de solidarité plus traditionnelles, basées sur l’entraide et la coopération. En cela, cette crise aura souligné les limites d’approches exclusivement organisationnelles, en indiquant l’importance à retrouver, au sein ou entre les organisations, de l’informalité.

Olivier Borraz, directeur de recherche CNRS, Centre de sociologie des organisations (CSO), directeur de 2013 à 2022

Référence

Borraz O. (dir.) 2022, La société des organisations, Presses de Sciences Po